Congrès de l’Unisda du 23 janvier 2009
Intervention de Michel Boyon, président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
Monsieur le Président, cher Jérémie Boroy,
Madame la Ministre, chère Marie-Anne Montchamp,
Monsieur le Conseiller de l’ARCEP, cher Denis Rapone,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers amis,
Je suis vraiment très sensible à l’invitation que Jérémie Boroy m’a adressée qu’il y a quelque temps en me proposant de vous exposer les suites de votre congrès d’il y a deux ans, où la question de l’accessibilité des programmes de télévision aux personnes sourdes ou malentendantes avait été au cœur de vos réflexions, de vos discussions, de vos propositions. Cela m’a beaucoup touché.
Depuis mon arrivée au Conseil supérieur de l’audiovisuel, il y a exactement très deux ans jour pour jour, j’ai entretenu avec Jérémie Boroy un dialogue intelligent, constructif et très positif. La personnalité de Jérémie, la manière dont il aborde la question de l’accessibilité des programmes télévisés est tout à fait judicieuse, pleine de discernement. On a vraiment bien travaillé tous les deux, c’est en tout cas mon sentiment, je crois aussi que c’est un peu le vôtre, depuis deux années. Ce que je dis là, c’est aussi la promesse que nous allons, tous les deux, continuer dans cette voie dans la période à venir.
Cette année, vous allez parler de la téléphonie. Il y a deux ans, vous aviez parlé de la communication audiovisuelle. C’est vrai que l’accessibilité est devenue maintenant un thème majeur, un moteur de réflexion et un moteur de décision, tout simplement parce que c’est une application du principe d’égalité entre nos concitoyens. Egalité dans l’accès aux programmes de télévision.
C’est aussi un vecteur de lien social indispensable, qui est essentiel pour la parfaite intégration des personnes qui souffrent d’un handicap auditif. Aujourd’hui, les solutions techniques existent, grâce notamment à la généralisation des techniques numériques. Dès lors que ces solutions existent et qu’elles sont rendues assez aisément applicables, nous avons, vous et nous, la responsabilité de tout faire pour les mettre en œuvre.
Le CSA lui-même a pour mission de garantir l’accès de tous à la télévision. Il s’est d’ailleurs toujours engagé pour renforcer le sous-titrage ou l’utilisation de la langue des signes, et nous savons qu’en 2010, toutes les grandes chaînes de télévision, publiques ou privées, quels que soient leurs supports de diffusion, devront sous-titrer la totalité de leurs programmes ou pratiquer la langue des signes. C’est un progrès immense. C’est le fruit d’un travail qui n’aurait pas pu être réalisé s’il n’y avait pas une volonté d’une démarche conjointe de la part des pouvoirs publics, gouvernement, parlement, CSA, et du mouvement associatif, toutes celles et tous ceux qui représente les personnes souffrant d’un handicap auditif. Vous, Jérémie Boroy, le président de l’UNISDA, vous qui appartenez aux associations qui représentent les personnes souffrant de ce handicap, vous avez joué un rôle majeur et vous aurez un rôle majeur à jouer pour que nous continuions à progresser.
Un petit mot d’histoire pour mieux mesurer l’ampleur du progrès accompli depuis dix ans, parce qu’on a parfois tendance à oublier un peu la situation de départ.
Nous sommes en 2009. En 1999, TF1, France 2, France 3, ce qu’on appelait à l’époque la 5e, qui avaient un statut de chaîne publique, ont pour la première fois à respecter des obligations en matière de sous-titrage de programmes. Ces obligations étaient quantifiées. On disait par exemple : c’est 1 000 heures de programmes sous-titrées chaque année pour TF1 et France 2, et 500 heures pour France 3. C’était du quantitatif, c’était du volume global qui s’appliquait à ces chaînes.
A partir de 2001, le CSA a pris l’habitude, lorsqu’il a eu à renouveler des conventions qu’il passe avec des chaînes de télévision de mettre à l’intérieur de ces conventions, des stipulations en ce qui concerne l’accessibilité des programmes. Cela a commencé à partir de 2001. On a précisé pour TF1, qui avait déjà cette obligation quantitative que j’évoquais tout à l’heure, un certain nombre de règles plus fines, plus précises, et on a introduit aussi des stipulations dans la convention de M6, qui n’avait pas été concerné par le premier train de mesures. Parallèlement, le CSA a incité, avec un certain succès, Canal+ à développer le sous-titrage spécifique pour son offre de cinéma.
Deux ans après, à nouveau le CSA intervient, et dit à l’ensemble des chaînes, car notre offre de programmes s’était considérablement diversifiée : vous devez développer votre offre de sous-titrage spécifique. Les conventions des chaînes de la télévision numérique terrestre, je vous rappelle que la TNT a été lancée le 31 mars 2005, donc les conventions des nouvelles chaînes de la TNT, celles que les spécialistes du monde audiovisuel appelaient les nouveaux entrants, ont prévu que les éditeurs devaient développer ce sous-titrage.
Tout ça, c’était bien, mais tout à fait insuffisant. Mais le mouvement était lancé. Déjà en 2005, à la veille de la publication de la loi du 11 février, on pouvait se dire que des progrès avaient été réalisés. Tout cela s’est amplifié grâce à la loi du 11 février 2005 que vous connaissez bien, et dont le titre même, la première partie du titre, l’égalité des droits et des chances, est très significatif de la volonté politique qu’elle reflétait.
Nous pouvons tous rendre un hommage très fort, très appuyé à Marie-Anne Montchamp qui, membre du gouvernement, chargée à l’époque des questions notamment relatives au handicap, a joué un rôle majeur dans la préparation et l’adoption de cette loi. Elle s’est vraiment démenée pour le faire, elle a eu tous les contacts nécessaires, elle a travaillé la main dans la main avec le monde associatif, elle a vraiment joué un très grand rôle, nous devons lui en être profondément reconnaissants. La loi de 2005, c’est la loi Montchamp. Cette loi fixe des objectifs encore plus ambitieux, et nous sommes en passe de les atteindre.
Qu’est-ce qui a été décidé à partir de 2005 ? On a commencé par le secteur public audiovisuel. Il y a eu les cahiers des charges de France 2, de France 3, de France 4, de France 5, qui ont fixé un certain nombre d’obligations, et en particulier l’objectif de 100 % des programmes à la date de 2010, date fixée par la loi.
Pour les chaînes privées, la loi a renvoyé au CSA le soin de prendre les dispositions qu’il fallait. Nous avons, au CSA, décidé de répartir les chaînes en trois catégories. Evidemment, cela peut gêner, on peut se dire que ce n’est pas parfait, que toutes les chaînes de télévision ne soient pas soumise aux mêmes règles, mais il faut aussi avoir une perception réaliste de la situation.
On a distingué entre les chaînes dites hertziennes, celles qui sont aujourd’hui diffusées sur la TNT, et celles diffusées sur le câble et le satellite.
Pour les chaînes hertziennes, on a décomposé selon leur niveau d’audience. Il y a celles qui font plus de 2,5 % de l’audience nationale de la télévision, et celles qui font moins de 2,5 % de cette audience.
Pour celles qui font plus de 2,5 % de l’audience totale, elles doivent en 2010, parvenir à 100 % de programmes accessibles aux personnes sourdes ou malentendantes en dehors des écrans publicitaires.
Pour les chaînes qui n’atteignent pas les 2,5 % d’audience nationale, ce sont les plus nombreuses, mais pas les plus emblématiques, les plus significatives, nous avons fixé un objectif de 40 % des programmes à l’horizon 2010, hors écrans publicitaires.
Pour les chaînes du câble et du satellite, c’est 20 % à l’horizon 2010. Nous avons précisé deux autres choses dans les dispositions prises l’an dernier.
La première, et c’est vraiment important, cela se situe tout à fait dans le prolongement du travail accompli par Mme Montchamp, c’est que les dispositifs d’accessibilité sont définis en concertation avec les organisations représentatives des personnes handicapées, et au premier rang naturellement, l’UNISDA et son président. Ceci est une excellente chose, car ce n’est pas une démarche administrative, pas une démarche qui serait faite sur la base de critères un peu conceptuels ou de réflexions un peu trop technocratiques, c’est vraiment un dialogue très étroit avec le mouvement associatif qui permettra de mettre en place les bonnes techniques et ces bons dispositifs.
La deuxième chose que le CSA a décidé en juin 2007, c’est de faire en sorte que, lorsqu’une chaîne a fait un travail de sous-titrage pour une émission ou un programme, la revente de ce programme à une autre chaîne soit une revente globale, c’est-à-dire qu’il y ait les fruits du travail de sous-titrage qui a été fait. Si une chaîne de télévision cède à une autre chaîne, qu’elle soit dans le même groupe ou dans un autre groupe, un programme qui a déjà été sous-titré, le sous-titrage accompagnera la cession de l’émission.
Ces dispositions ont-elles porté leurs fruits ? Oui. Il faut regarder les chiffres de 2008, c’est une primeur puisqu’ils sont tout frais, ils sortent quasiment de nos machines électroniques, on peut dire aujourd’hui que la plupart des grandes chaînes dépassent la barre de 50 % des programmes sous-titrés.
Quelques détails : TF1 et France 3 en 2008 : 71 % des programmes sous-titrés, toujours hors écrans publicitaires, je le reconnais, mais il y a vraiment une spécificité du sous-titrage des écrans publicitaires, vous le savez. 63 % pour France 2. 59 % pour France 5. M6 est un peu en retrait, mais vous le savez, M6 a démarré dans le sous-titrage avec un petit décalage dans le temps par rapport aux autres, et M6 devra satisfaire l’obligation de 100 % des programmes sous-titrés ou doublés à l’horizon de 2010. Ça, c’est pour ce que les spécialistes appellent d’une expression que je n’aime pas, les chaînes historiques, car cela fait un peu vieilles chaînes, vieux schnoque, et pourtant, ces chaînes sont pleines de dynamisme et sont un considérable réceptacle d’audience, comme vous le savez.
Pour les nouvelles chaînes de la TNT, un certain nombre ont d’ores et déjà proposé des programmes accessibles dès 2008, c’est le cas notamment de W9, qui est la plus en pointe, Direct 8, NRJ 12, NT1, TF6. C’est un progrès important car, en 2007, le CSA avait été conduit à engager des procédures de sanctions à l’encontre des chaînes qui ne s’étaient pas engagées dans la voie de l’accessibilité des programmes. Nous n’hésiterons pas à recourir à la sanction si nous constatons une mauvaise volonté manifeste de la part des chaînes. Ce n’est pas la démarche que nous privilégions, ce que nous privilégions, c’est le dialogue, la concertation, nous faisons de la pédagogie et nous voulons convaincre. Par rapport à la situation que j’ai découverte il y a deux ans, il y a un progrès considérable dans l’attitude des chaînes. Aujourd’hui, les chaînes sont beaucoup plus réceptives à la question du handicap auditif qu’il y a deux ans. Par la persuasion, par le dialogue, par la conviction, on pourra atteindre les objectifs qui ont été fixés. Mais chacun sait, et les chaînes de télévision en particulier savent que, si les exigences imposées par la loi et par le CSA ne sont pas remplies, nous prendrons toutes les dispositions nécessaires, y compris le recours à la sanction.
En même temps, je ne dis pas cela pour défendre les chaînes, c’est vrai que le sous-titrage ou le recours à la langue des signes, c’est une charge financière importante pour des chaînes qui diffusent 24 h/24, il faut en être conscient. Par malchance, au moment même où la loi du 11 février 2005 doit retrouver sa pleine application dans les conditions que je vous rappelais tout à l’heure, les chaînes se trouvent confrontées à un problème de financement plus sérieux qu’à l’accoutumée. Il ne faut pas se le cacher, l’audiovisuel français, par rapport à ses petits camarades étrangers, est en état de sous-financement durable. Pour les chaînes privées, ce sous-financement était réel et il s’accentue avec la contraction du marché publicitaire, très forte depuis neuf mois, liée à la crise économique. Et du côté des chaînes publiques, de la même manière, parce que même l’addition des différentes ressources de France Télévisions ou des autres chaînes publiques avec des ressources provenant à la fois de redevances, de publicités, de crédits budgétaires etc., ne permettait pas d’assurer ce qui était nécessaire pour le service public.
Si vous me permettez d’ouvrir une parenthèse compte tenu de l’actualité : la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévisions aujourd’hui, on l’apprécie ou pas en fonction de sa personnalité, ce n’est pas le sujet, moi, j’ai la conviction que cela va donner beaucoup plus de liberté et de souplesse aux chaînes publiques, elles pourront programmer des émissions qu’elles n’avaient pas l’habitude de programmer à 20h30 parce qu’on avait besoin de trouver des ressources publicitaires, elles pourront diffuser des émissions s’adressant à des publics qui ne sont pas considérés comme des cibles publicitaires privilégiées par les entreprises ou par les annonceurs, mais devant la chute du marché publicitaire aujourd’hui, la substitution de crédits budgétaires dont le montant est garanti, est incontestablement un ballon d’oxygène pour la télévision publique.
Je ferme cette parenthèse parce qu’il n’en reste pas moins que l’audiovisuel français, à la différence de beaucoup d’autres audiovisuels européens, est de mon point de vue dans un état de sous-financement. Il faut prendre cela en compte, et savoir que, pour les chaînes, même si elles sont très volontaristes, même si elles sont très déterminées à aller loin dans ce sens, la période 2009-2010, celle durant laquelle on va tendre à la pleine application de la loi Montchamp, sera très difficile pour elles sur le plan économique.
Que nous reste-t-il à faire pour qu’on puisse tendre, non pas à la perfection car on n’y arrivera jamais, mais c’est un peu une asymptote, nous n’atteindrons pas l’idéal, mais nous devons tendre à l’idéal. D’abord, notre boulot au CSA, c’est de veiller à ce que la loi soit pleinement appliquée en 2010, c’est notre responsabilité, et nous nous y engageons.
Il faut aussi que l’échéance de 2010 soit respectée pour tous, c’est-à-dire que ce soit fait suivant des modalités qui correspondent aux attentes des personnes qui souffrent de ce handicap. Je le répète, je ne doute pas que notre partenariat sera une nouvelle fois efficace. Ensuite, les progrès doivent être continus. En 2007, le CSA avait particulièrement veillé à ce qu’un effort soit fait pour les émissions d’informations, pour les émissions liées à la campagne électorale. Nous ferons la même chose pour les élections européennes de juin prochain. Nous devons ensemble voir le bon équilibre à trouver entre le sous-titrage et la langue des signes, compte tenu des attraits et des contraintes respectives de ces deux modes d’interprétation.
Dernière chose : je vous rappelle que Valérie Létard, secrétaire d’Etat chargée de la Solidarité, a demandé que, sur tous les téléviseurs qui émettent dans des lieux publics, le sous-titrage soit désormais systématiquement activé. Au CSA, nous avions devancé un peu Valérie Létard puisque, dans la grande salle que Jérémie Boroy connaît bien, qui est une sorte de mur d’images, nous appliquions déjà cette règle. La Secrétaire d’Etat l’a demandé, j’ai pu constaté que c’était respecté dans un certain nombre des lieux où je suis allé, ce n’est pas respecté de manière massive, je pense que votre association pourrait peut-être relayer ce qui a été fait à l’initiative du gouvernement et du CSA en rappelant à ceux qui exploitent ou qui gèrent des lieux publics que ce serait un geste emblématique, un geste fort, un geste significatif d’activer systématiquement ce sous-titrage.
Voilà ce qui a été fait dans le domaine de l’audiovisuel depuis votre dernier congrès. Encore une fois, c’est le travail de tous, le travail des pouvoirs publics, le parlement, le gouvernement, c’est le travail du CSA, le travail de ceux qui ont pour mission de représenter les intérêts des personnes sourdes ou malentendantes. C’est le travail de l’UNISDA et de son président. Je suis convaincu que nous allons pouvoir continuer dans cette voie de manière extrêmement positive, convaincu que nous respecterons les échéances fixées par le législateur, que les dernières barrières vont tomber, et qu’aujourd’hui, vous ouvrez un nouveau chantier avec celui de la téléphonie.
Je suis convaincu que, quand vous ferez un nouveau bilan dans deux ans, si vous voulez bien m’inviter, je viendrais vous dire : objectifs remplis, tout le monde est à peu près satisfait, je dis « à peu près » car on ne sera jamais à 100 % sur les 375 chaînes de télévision qui existent en France, mais on sera à 100 % pour ce qui est du cœur de la télévision français. Et vous pourrez dire qu’en téléphonie, vous avez également fait des progrès. Cela fera une très bonne émulation, Monsieur Rapone, entre le téléphone et la communication audiovisuelle au service des personnes qui souffrent de handicap auditif.