Conférence de l’Unisda – Première table ronde

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Première table ronde
“Etat des besoins en matière de scolarisation”
Conférence de l’Unisda du 11 février 2012

- Matthieu Clavier, président de l’ALPC
- Anne-Laure Weill, administratrice de l’ALPC
- Didier Voïta, président de l’ANPEDA
- Catherine Vella, secrétaire de l’APES 77
- Morgane Robert, secrétaire de l’APES 35
- Emmanuel Guichardaz, syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et Pegc et rapporteur du groupe de travail « Education – Scolarité » du CNCPH

Cliquer sur le nom pour accéder directement à son intervention

Table ronde

- Vincent Edin : Merci Président. J’appelle sans plus attendre les intervenants de la première table ronde à venir me rejoindre.
Le temps qu’ils s’installent, je salue l’arrivée de Maryvonne Lyazid, qui est notre nouvelle défenseur des droits. Madame, je suis particulièrement heureux que vous soyez là pour écouter ce qu’il y a à dire, puisque la question des besoins en matière de scolarisation des enfants sourds relève notamment de votre institution, et je sais à quel point vous êtes impliquée dans cette cause.

Première table ronde sur l’état des besoins. Ils sont vastes, il y a une multitude de points de vue. Je vais prendre les choses dans l’ordre et je me tourne vers Matthieu Clavier, vous êtes président de l’ALPC.

- Matthieu Clavier : Bonjour à tous. Je suis président de l’ALPC, l’Association pour la promotion et le développement de la langue française parlée complétée. Notre association représente des familles qui ont fait le choix d’un projet éducatif en langue française pour leurs enfants.
Je vais revenir rapidement sur l’utilisation du LPC. A la maison, l’utilisation du LPC permet d’assimiler au mieux la langue parlée, et à l’école, c’est un moyen de mise en accessibilité de la langue d’enseignement.
Quel que soit le niveau de surdité et le type d’aide technique utilisée, la réception de la parole sans le code LPC est imparfaite, voire impossible, entraînant fatigue, confusions, contresens et incompréhensions, et risquant parfois découragement et décrochage scolaire.
Je voudrais faire une petite rétrospective : si on se positionne avant la loi de 2005, quelle était la situation des familles qui avaient fait le choix d’un accompagnement en langue française pour leurs enfants sourds ? Elles construisaient leur projet en fonction d’une offre territoriale existante, avec des centres médico-sociaux, des associations locales employant des codeurs, ou en employant directement des codeurs, de temps en temps des AVS plus ou moins formés à accompagner leurs enfants dans l’environnement scolaire.
Quand la loi de 2005 est arrivée, elle a ouvert beaucoup d’espoirs pour ces familles, car elles attendaient qu’elle permette, d’une part le respect du choix des parents dans leur projet linguistique pour leur enfant, d’autre part, la mise en accessibilité des enseignements en langue française, et un accompagnement de qualité.
Malheureusement, la loi de 2005 n’a pas précisé les conditions de mise en accessibilité de la langue française pour les jeunes sourds.
C’est pourquoi, lors de l’établissement du plan handicap auditif de 2010, la mesure 16 qui avait été proposée a de nouveau suscité des espoirs, car elle prévoyait la mise en place expérimentale d’un accompagnement par des codeurs LPC par l’Éducation nationale dans trois académies.
Mais cette mesure n’a pas été mise en application, et la circulaire PASS est venue se substituer à cette mesure.
Si on fait le point aujourd’hui, on constate que la situation des familles n’a finalement pas beaucoup changé.
Je reviens sur la mesure 16 du plan handicap auditif, qui n’est pas appliquée et est remplacée par cette circulaire PASS. Malheureusement, le dispositif mis en place pour les PASS est structurellement inadapté au respect du choix de la langue dans le parcours scolaire. Tout d’abord, il n’y a aucune garantie d’accompagnement avec la logue parlée française complétée, dont le nom ne figure même pas dans la circulaire. Il est juste mentionné une fois un codage.
Par ailleurs, la mise en œuvre des PASS ne respect pas l’objectif de qualité. La réponse apportée en termes d’accompagnement par le LPC est faite par l’intermédiaire des médiateurs, qui sont censés être formés pour eux-mêmes former les enseignants. Or, on sait qu’il est quasiment impossible de coder intégralement toutes les situations pédagogiques avec le LPC. Ce qui risque de conduire à des situations où le LPC mal utilisé risque d’être totalement contre-productives. Au final, le dispositif des PASS ne répond ni aux besoins ni aux attentes des enfants, et ne garantit pas le respect du choix de la langue fait par les parents.
Deuxièmement, je voudrais dire qu’aujourd’hui, la quasi-totalité des demandes des parents pour un accompagnement par un codeur LPC se voient notifiée une aide de vie scolaire. Or, le statut et la formation des AVS sont incompatibles avec la notion de qualité : leur statut ne permet pas d’envisager une formation suffisante, et quand ces formations existent, elles sont le plus souvent dispensées par des formateurs eux-mêmes peu expérimentés.
Enfin, la disparité territoriale des réponses est toujours de mise. La réalité est que seuls les enfants résidant dans un lieu pourvu d’un service employant des codeurs ou des associations peuvent trouver réponse à leurs besoins.
Enfin, je voudrais mentionner trois points qui ne me semblent pas avoir été pris en compte dans la mise en place des différents dispositifs.
Premièrement, l’avis de véritables experts de terrain. Des orientations de la circulaire PASS n’ont donné lieu à aucune concertation avec les associations, et un certain nombre d’idées qui avaient été avancées lors de la journée de réflexion de décembre 2010 n’ont pas été prises en compte.
Deuxièmement : la nécessité de qualité et la spécificité de l’accompagnement. L’existence de professionnels formés par les universités, et dont les compétences sont définies, validées par des cursus universitaires n’ont pas été pris en compte. Etre codeur, ce n’est pas uniquement avoir acquis une technique, mais c’est aussi un savoir-faire professionnel. Quelques heures de formation des médiateurs ou des AVS ne peuvent se substituer à une formation universitaire de plusieurs centaines d’heures, aussi bien théorique que pratique.
Enfin, il y a une incohérence flagrante dans la mise en place du projet de langue française avec LPC entre les jeunes sourds et les adultes sourds. En effet, il n’y a pas de continuité des droits entre les jeunes enfants et les adultes. Dans la loi, il a été acté que pour les adultes, l’accompagnement par un codeur LPC était un droit, dans la vie quotidienne, dans les études supérieures, mais les jeunes sourds n’ont pas ce droit-là. Cette distorsion était vraiment en contradiction avec le choix d’un projet de vie, et cela crée des situations contradictoires. Pour exemple, il est possible d’être accompagné par un codeur LPC quand vous passez l’épreuve du brevet des collèges ou le baccalauréat, alors que la scolarité doit se dérouler sans cet accompagnement. C’est un illogisme flagrant.
Le ministre de l’Éducation nationale, lors d’une question posée à l’Assemblée nationale, a affirmé que la mise en application de la circulaire PASS « permettait aux familles d’exercer le libre choix du mode de communication pour leurs enfants, sans être obligées d’avoir recours à d’autres personnels d’accompagnement ».
Cette réponse est assez inadaptée car elle remet en cause des moyens qui sont déjà insuffisants mais qui existent, au travers des offres des services médico-sociaux et associatifs, pour l’accompagnement LPC.
La loi de 2005 a peut-être été ambitieuse en prétendant pouvoir répondre aux besoins de chaque personne, du temps était bien sûr nécessaire pour y parvenir, et les parents peuvent comprendre les besoins de délai à la condition que les orientations soient conformes aux besoins de leur enfant sourd. Mais les réponses apportées aujourd’hui sont bien en deçà des attentes.
Lors de la journée nationale du handicap en 2011, Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il s’agissait maintenant de s’attacher à la qualité des réponses apportées dans le domaine de la scolarité. C’est ce que nous attendons.
Je finis sur une note amère. J’ai récemment eu le commentaire suivant d’un professionnel de la surdité : avec les PASS, on a l’impression d’être revenu 40 ans en arrière.
Pour le projet des familles d’accompagnement en langue française avec le LPC, en ce jour anniversaire de la loi de 2005, c’est un triste constat.
Je vous remercie.

- Vincent Edin : Merci pour ce constat, assez sombre. Vous avez placé les maîtres mots de la journée, à savoir le déficit de qualité, et la notion des disparités territoriales dont on aura un exemple tout à l’heure avec deux interventions qui montrent comment les situations divergent d’un département à l’autre.
Anne-Laure Weill, vous êtes administratrice de l’ALPC, et vous voulez revenir sur l’écart croissant entre les besoins existants et le manque de moyens disponibles.

- Anne-Laure Weill : Bonjour, je m’appelle Anne-Laure. Je suis sourde, avec une perte de 90 décibels, je suis sourde de naissance. J’ai 24 ans et je suis encore étudiante, dans une école de création industrielle, l’ENSCI. Je passe mon diplôme l’année prochaine.
J’ai deux appareils auditifs. J’ai été appareillée dès que j’ai été dépistée, à l’âge de 2 ans et demi, et mes parents ont de suite fait le choix du LPC. Comment ont-ils fait ce choix ? L’ORL qui a constaté ma surdité leur avait parlé du LPC et de la LSF, donc a priori, ils étaient bien informés. Mes parents voulaient utiliser le LPC parce qu’ils parlent français, donc cela leur semblait incongru de devoir apprendre une autre langue pour parler à leur enfant. Donc c’était pour pouvoir transmettre leur langue maternelle. Et ils voulaient aussi, avec le LPC, me donner le maximum de cartes en main pour pouvoir ensuite m’intégrer dans le milieu normo-entendant. De plus, avec le LPC, il y a un confort de compréhension, ils s’en sont très vite rendu compte, que ce soit dans la vie de tous les jours, ça me permettait de comprendre tout le message. Il y a un certain confort de communication qu’il n’y a pas, par exemple, s’ils avaient décidé d’utiliser l’oralisme seul.
Au début, le LPC, c’était vraiment en mode biberonnage, c’est le terme qu’on utilise, c’est-à-dire que c’est comme les bébés, soit ça dort, soit ça boit du lait : dès l’instant que j’étais réveillée, ils utilisaient le LPC de manière intensive pour tout dire. C’est vital, essentiel pour la croissance, dès l’instant que l’on choisit un mode de vie avec du LPC, dans la vie quotidienne ou dans la scolarisation, c’est-à-dire que c’est un pré requis pour que, ensuite, la scolarisation avec le LPC se passe bien. Donc ils avaient déjà un plan assez précis avant même que j’aille à l’école.
J’ai des appareils auditifs, qui me permettent d’entendre, certes, mais je ne comprends pas tout, c’est-à-dire il y a toujours ce risque de faire un contresens, et quand on apprend une langue, faire des contresens, ça peut poser pas mal de problèmes. C’est parce que j’ai acquis la langue française avec le LPC que maintenant, je peux reconnaître un contresens et me rendre compte que la personne, quand elle me parle en face de moi, non, ça ne devait pas être le bon mot qu’elle a dit là, et je retrouve le mot.
En termes de scolarisation, j’ai toujours été en phase avec les autres enfants de mon âge, je n’ai pas eu besoin de redoubler. En école maternelle et en primaire, c’était les écoles de quartier. Mes parents s’assuraient à chaque fois que le directeur et l’enseignant de la classe voulaient bien jouer le jeu, et étaient d’accord pour accueillir un gamin sourd.
Au début, je n’avais pas de codage. J’ai commencé à avoir un peu de codage en CE2, parce que l’institutrice avait décidé d’apprendre le LPC. Elle ne codait pas tout, elle codait par exemple les dictées, et quand elle voyait que j’étais un peu perdue. Le reste du temps, j’avais un micro HF.
Au collège, je ne suis pas allée au collège de quartier, car ma mère était allée voir le proviseur et elle ne lui a pas fait confiance. Je suis donc allée dans un collège privé. En cinquième, il y avait des cours de canoë ; là, je ne pouvais pas avoir les appareils auditifs, donc j’ai eu une codeuse qui montait avec moi, qui était derrière, qui tapotait avec sa pagaye, qui me disait ce qu’avait dit le prof, c’était super.
Ma demande en codage a augmenté par la suite, car plus on avance en scolarité, moins les professeurs ont le temps de vérifier que chaque gamin suit. Il y a aussi des termes de plus en plus spécifiques et techniques qu’il faut être sûr d’avoir bien acquis.
J’ai fait un bac littéraire. En terminale, j’avais entre 15 et 20 heures de codage par semaine. J’ai toujours actuellement du codage, c’est Aurélie qui code actuellement qui vient coder de temps en temps dans mon école.
Dans toute ma scolarité, j’ai eu réellement beaucoup de chance. J’ai toujours eu du codage avec des supers codeuses et codeurs très bien formés. Je dis que j’ai de la chance, alors que ça devrait être normal. J’ai des amis dans mon entourage qui n’ont pas le codage dont ils ont besoin, c’est-à-dire qu’ils ont par exemple une AVS, ou des codeurs qui n’ont pas eu forcément le diplôme de codeur. Le codage tel qu’il y a dans cette salle ou tel que je l’ai eu ne devrait pas être l’apanage de quelques chanceux, cela devrait être ce que toute personne sourde qui fait le choix d’un parcours avec du LPC devrait avoir. Ce n’est pas juste de la technique. Effectivement, on dit qu’il suffit de quelques heures pour savoir coder. Oui, mais pour savoir coder un cours de lycée ou d’enseignement supérieur, il faut une formation un peu plus musclée et sérieuse, et aussi pour s’adapter aux différentes situations.
De plus, il y avait une bonne relation entre moi et la codeuse, je lui disais si j’étais fatiguée par exemple, c’est aussi une capacité d’adaptation des deux côtés.
Tel que je le dis, je suis très demandeuse en LPC, mais finalement, 80 % de mon temps, je le passe avec des entendants ou des gens qui ne sont pas codeurs. On peut donc être très demandeurs en LPC, mais cela ne veut pas dire que je vais m’enfermer ou être dépendante du LPC. C’est parce que j’ai régulièrement du LPC, que j’ai une bonne maîtrise de la langue française que je vais pouvoir me débrouiller sans LPC, et discuter, par exemple avec un enseignant en face à face, sans LPC, et comprendre exactement tous les termes qu’il utilise.

- Vincent Edin : Merci beaucoup pour ce témoignage très parlant, où l’on voit effectivement le problème principal qui est la liberté du choix de la langue, et quand veut avoir du codage de qualité, vous l’avez dit, vous êtes l’exception, il y a un rapport de 1 à 23 entre le nombre d’heures de formation reçues par un AVS et ce que nos copines codeuses font là. Elles ont été 23 fois plus formée, donc évidemment, il ne faut pas attendre la même prestation derrière. Mais tant mieux pour vous, effectivement, si vous avez toujours été très bien accompagnée.
Je vais me tourner vers Didier Voïta, vous êtes président de l’ANPEDA.
Vous allez nous parler d’une enquête de 2010 qui montre que 25 % des familles choisiraient le LPC, 25 % une éducation bilingue, et que 50 % n’ont fait aucun choix particulier. Derrière, ce qu’il se passe dans les pratiques, le gros problème français, c’est un manque criant de souplesse.

- Didier Voïta : Bonjour. Je suis président de l’ANPEDA, l’Association nationale des parents d’enfants déficients auditifs. C’est une association ancienne, généraliste, qui a pour principe de base la demande du terrain. Les enfants sourds ont besoin de communication, d’un langage, d’acquisition de savoirs. Parmi ces savoirs, la langue française est un élément primordial, et pour y parvenir, différentes voies sont possibles. C’est le choix des familles, des parents, de l’enfant, avec eux, qui doit être primordial. C’est le premier point : la reconnaissance des besoins et la réponse aux besoins des familles dans le choix éclairé qu’ils font pour leur enfant, et l’accompagnement de ce choix. Ce qui est admis comme allant de soi dans l’enseignement supérieur, c’est-à-dire l’acceptation de la langue des signes, l’acceptation du LPC, ce qui va de soi dans la formation professionnelle dans toutes les entreprises, avec les accompagnements et les services du réseau ANPEDA le savent bien quotidiennement, qui accompagnent 80 % de leurs jeunes, plus de 3 000 en France, avec la LSF, ils savent bien que ce qui est admis dans les entreprises, dans les centres de formations, c’est-à-dire le choix et l’accompagnement dans la langue voulue par le jeune, ne l’est pas dans le secondaire, comme si les familles devenaient mineures dans les options qu’elles peuvent prendre.
On parle de manque de souplesse. On a l’impression que l’Éducation nationale a des clés et qu’elle transforme les jeunes et les familles en serrures. Et on assiste à cette chose étonnante qui est que c’est finalement l’offre qui détermine et qui implique la demande. Sur le terrain, nous avons des retours de familles ayant fait un choix et ne pouvant pas du tout appliquer ce choix par manque de l’offre.
Le deuxième point, c’est que la population des enfants change. Évidemment, je suis d’accord avec le respect du choix de la langue dans le parcours scolaire du jeune sourd, c’est évident. Cependant, vous faisiez allusion à une enquête interne à l’Éducation nationale, c’est M. Gachet qui avait dit que parmi les enfants suivis par l’Éducation nationale, en intégration, 25 % faisaient le choix du LPC, 25 % de la langue des signes, et 50 % n’avaient fait aucun choix.
Ces 50 %, qui sont-ils ? Ce sont souvent des jeunes enfants qui ont des problèmes de communication, certes, mais qui ont aussi des problèmes associés, connexes ou sur-handicap, qui relèvent des troubles sociaux, des troubles du comportement, des troubles psychiques, de la dyslexie, énormément. Et pour ceux-là, la situation est très complexe, il y a en effet un manque de souplesse, mais un manque de réalisme, peut-être d’une certaine honnêteté intellectuelle aussi.
Enfin, troisième point, ce qui revient en permanence du terrain, c’est l’embouteillage des MDPH. Alors que les parents ont déposé le dossier dès le printemps, des rentrées se font sans que le dossier soit passé devant la commission des droits. Aucune préconisation, ou des préconisations qui sont plus sujettes aux capacités financières du moment qu’aux besoins réels de l’enfant, des appels qui n’ont pas lieu ou prennent un temps fou, donc des rentrées ratées, retardées. Je crois qu’il devrait y avoir une articulation très proche, très soutenue entre les responsables de l’Éducation nationale et les décideurs de la MDPH. On pourrait parler des professeurs référents, surchargés, mais je ne veux pas noircir encore le tableau.
En tout cas, MDPH engorgées, professeurs référents en sous-nombre, parents parfois au bord de la crise de nerf, la situation en 2012 n’est pas réjouissante. J’ai un fils actuellement de 28 ans, et quand je me suis lancé dans le militantisme pour l’éducation et la scolarisation des sourds, j’avoue que les parents de ma petite association locale lyonnaise ont autant, sinon plus de difficultés que j’en avais il y a trente ans.

- Vincent Edin : Cela fait deux fois qu’on nous dit que ça n’a pas beaucoup évolué en trente ans.
On parlait des disparités territoriales, je vais donner la parole à deux représentantes de l’ANPES, avec leur représentante du 77 et celle de l’Ille-et-Vilaine.
Catherine Vella, vous secrétaire de l’APES de Seine-et-Marne, vous, c’est le volet qui marche à peu près bien.

- Catherine Vella : Je suis à la fois secrétaire de l’APES 77 et secrétaire de l’ANPES, l’association nationale. J’ai un garçon de 5 ans qui est sourd profond, dépisté à 2 ans et demi. Il est né après la loi de 2005, quand il a été dépisté, on m’a dit que j’avais une chance énorme, que j’aurais le choix. Super ! Donc j’ai choisi la langue des signes. Et après, plus rien. J’habite dans le 93, mon fils va à l’école dans le 77, parce que ce choix de la langue des signes est suivi d’un vide énorme au niveau des structures existantes. C’est-à-dire qu’on a très peu de structures existantes qui fonctionnent. J’ai fait ce choix du 77 parce que c’est une structure ancienne, reconnue, où les enfants sont dans une classe en maternelle avec une enseignante sourde, qui signait parfaitement bien, ce qui est pour moi très important. Pour moi, le choix de la langue des signes n’est pas le choix d’un outil de communication, c’est le choix d’une langue. C’est-à-dire que j’ai fait ce choix, sachant que la langue des signes est une vraie langue, au même titre que le français, aussi complexe que le français, qui permet d’apprendre tout, de tout communiquer, de tout exprimer, de tout apprendre. Pour moi, il était évident, en faisant ce choix – j’étais extrêmement naïve – que tout le monde avait cette même image de la langue des signes, puisqu’elle était reconnue comme une langue : c’était une vraie langue qui servait de langue d’apprentissage, mais qu’on étudiait également comme on étudie le français quand on est un enfant entendant. J’ai beaucoup déchanté là-dessus, puisque je me suis vite rendu compte que ce n’était pas du tout le cas. Surtout, on m’a tout de suite dit que si je faisais ce choix, je devrais déménager. Parce qu’il y a très peu d’endroits où le bilinguisme est réel, où il y a une langue des signes correcte, avec des enseignants qui la parle correctement, et un apprentissage du français écrit.
J’ai trouvé le 77 qui était assez près de chez moi, même si mon fils fait une heure de transport matin et soir, c’était le plus proche. Ce qui reste aussi une exception. En Région parisienne, on a Massy qui est gérée par l’Éducation nationale, et Champs-sur-Marne, qui est dirigée encore par un CEFIS, mais qui va devenir un PASS, puisque toutes les classes vont finir par devenir des PASS, ce qui m’inquiète autant que vous. Il y a un PASS dans le 93, je tiens à dire ce mot-là parce qu’on met PASS bilingue, PASS LSF, etc., ce qui se passe dans la classe du 93, c’est une classe avec 26 enfants entendants, quelques enfants sourds, certains codent et certains signent, et le codeur intervient en même temps que l’interprète, ce qui donne des situations invivables pour les enfants. Mais ça a le nom de PASS du 93. Donc je n’ai pas fait ce choix-là. Il y a une énorme disparité, extrême, de niveau national. J’ai la chance d’être dans une région où il y a encore deux choix, même si, pour inscrire un enfant à Champs, il faut être dans l’académie de Créteil et demander une dérogation. Pour Massy, c’est encore pire, il faut habiter dans le 91. C’est extrêmement complexe. Mais on a aussi des revendications sur la qualité. Quand je dis que la langue des signes est une vraie langue, cela veut dire aussi que quand on l’enseigne, on l’enseigne correctement. On ne dit pas : « C’est pas grave, ça va servir d’outil, on en met un peu et ça suffira. » Non ! Ce n’est pas possible. Quand on acquiert une vraie langue, on l’acquiert complètement. Et quand on la connaît bien, qu’on est solide dans sa langue, on peut apprendre le français de façon tout à fait correcte.
On a la preuve à Toulouse, par exemple. Les classes de Toulouse sont en langue des signes de la maternelle jusqu’à la terminale. Les enfants ont leur diplôme en français, enfin, ils ont un bac normal. Ils arrivent à l’université, et là, c’est la catastrophe ! Mardi dernier, il y avait une manifestation, car ils sont leur bac, parfois avec mention. Une jeune fille, par exemple, a son bac avec mention et voulait faire des études supérieures, et on lui dit que ce n’est pas possible, car des interprètes, il n’y en a plus, ou il y a 10 heures d’interprètes sur 35 heures de cours. C’est-à-dire qu’elle a acquis, grâce à sa langue, la langue des signes, elle a acquis l’apprentissage du français de façon brillante, elle a eu son bac comme tous les enfants de son âge. Et ensuite, on lui dit qu’on ne lui proposera pas la suite. Donc on a non seulement un problème de répartition, mais ensuite un problème de continuité, même dans les cas où ça se passe extrêmement bien, entre la maternelle jusqu’à l’université. Il y a là un réel souci d’accompagnement des jeunes.
On veut une langue solide, un enseignement direct en LSF, mais aussi de la LSF, car c’est une vraie langue et qu’elle doit être apprise et maîtrisée comme toutes les langues.
On veut aussi, pour donner toutes les chances d’entrée à l’enfant dans le français, des programmes adaptés. Pour l’instant, le programme d’apprentissage du français en CP est très oraliste, entièrement audio, avec le b-a-ba. Pour les familles qui ont fait le choix de la LSF, ce programme est absolument inapplicable. Il est impossible, même avec une AVS formée en LSF, de faire faire un programme comme ça à un enfant sourd signeur, c’est un échec direct ! Donc il faut un enseignement avec des programmes adaptés, avec des enseignants formés, qu’on accepte de former. Je ne sais pas s’il y a des gens de l’Éducation nationale ici… Je n’ai pas l’impression… Une… Deux… Je trouve que ça manque, parce que nos projets sont en lien avec l’Éducation nationale. Les classes PASS, ce n’est plus des centres, les pôles LSF que l’on veut, ce sont des centres directement avec l’Éducation nationale, avec des programmes qui existent, mais qui ne sont pas forcément appliqués. Les enseignants, on construit un petit peu les choses de bric et de broc, et on va aussi vers un échec dans le futur, peut-être pire que ce qui existait, et c’est vraiment dommage.
Nous voulons également, évidemment, une filière par département. Je trouve choquant qu’on dise aux parents : « Vous avez fait ce choix, donc vous allez devoir déménager. »
On est au 21e siècle, ce serait bien que nous ne soyons pas des parents pigeons voyageurs, que nos enfants ne fassent pas une heure de trajet tout le temps. A quatre ans, une heure de taxi matin et soir, ce n’est pas très engageant.
J’ai remarqué dans certaines situations que, quand on crée une classe en LSF, donc on forme le professeur, de façon à ce qu’il soit compétent. Car ce n’est pas parce qu’on parle en LSF que l’on a la compétence pour enseigner à des enfants. Je parle français, ce n’est pas pour cela que je vais enseigner le français. Il est important que les gens soient compétents dans leur langue et qu’ils aient aussi la compétence de transmettre à des enfants. Ce qui veut dire une formation, que les gens soient acceptés en formation et qu’on leur permette de progresser dans la pédagogie. Mais on ne peut pas créer ces pôles dans des écoles où personne n’est préparé. Parce que recevoir des enfants sourds signeurs, c’est une gageure, c’est quelque chose d’extrêmement complexe. La langue des signes, les gens ne savent pas ce que c’est, ils ont l’impression que ces enfants vont pouvoir s’intégrer très vite, qu’il n’y aura pas de soucis. Ce n’est pas magique ! Les choses doivent être préparées à l’avance, les équipes doivent être formées et informées de ce qui va se passer. Y compris pour les temps péri-scolaires, c’est-à-dire les temps de permanence, de cantine, les temps de récréation, où les enfants sont confrontés à des adultes qui ne connaissent rien à la langue des signes et qui sont incapables de les aider, et les enfants finissent par être livrés à eux-mêmes dans ces cas-là.
Il est aussi très important de donner accès à la langue des signes aux parents. Si on veut que les parents entendants puissent réellement faire le choix de la langue des signes, il serait important qu’ils puissent la maîtriser. Comment aider son enfant à faire ses devoirs par exemple, si on ne nous forme pas à la langue des signes ? C’est impossible !
Or, pour l’instant, les choses se passent comme ça, je me suis formée seule, c’est-à-dire que j’ai payé moi-même les formations, et la MDPH m’a remboursée un an après. Ce qui veut dire que c’est sur mon temps personnel, alors que soi-disant, j’avais le choix. Mais ce n’est pas un choix, c’est une difficulté supplémentaire.
Or, j’ai un petit garçon de cinq ans qui s’exprime comme un petit garçon de cinq ans, qui s’intéresse à tout, parce que, en langue des signes, il a pu se construire une identité et apprendre des tas de choses. Mais pour l’instant, au niveau scolaire, on est obligé d’envisager certaines situations, comme déménager.
Dans le 77, j’ai eu de la chance, parce que dans sa classe de maternelle, il y a une enseignante sourde qui a l’expérience, qui est pédagogue.
Il y a une enseignante entendante qui signe. Pour moi, ça va très bien, mais c’est exceptionnel. Les enfants de Massy ont de la chance parce qu’ils ont des enseignants compétents, parce que la classe est solide, parce que derrière, il y a des choses. Mais il y a des tas d’endroits où ce n’est pas absolument pas le cas, et c’est dramatique pour les enfants. Je voudrais juste citer la Fédération nationale des sourds de France qui a fait un manifeste très récemment au sujet des élections. Je voulais en citer un extrait en conclusion.
« Naître sourd ou devenir sourd précocement ne doit plus être synonyme de frein à l’éducation. Recevoir un enseignement dans le respect dans la langue des signes est un droit qui doit être réellement appliqué aujourd’hui, que la LSF est reconnue par le droit français. L’égalité des chances passant par le principe fondamental qui veut que l’enfant sourd ait la possibilité d’acquérir les savoirs dans la langue qui lui est le plus naturellement accessible.
Le choix d’un enseignement bilingue en LSF et français écrit doit être effectivement proposé aux famille concernées, et ça ne doit pas juste être une vue de l’esprit. »
Et je conclurai avec ça pour passer la parole à des gens qui ont moins de chance que moi.

- Vincent Edin : On voit que faire naître un enfant après 2005 n’a pas encore résolu tous les problèmes. Merci à nos camarades de l’Éducation nationale d’être venus, on vous donnera la parole tout à l’heure.
Morgane Robert, vous êtes secrétaire nationale de l’APES en Ille-et-Vilaine. Vous avez moins de chance que votre voisine, car dans votre département, la loi n’est pas appliquée car l’Éducation nationale n’a pas encore ouvert ses portes.

- Morgane Robert : Je suis la secrétaire générale de l’Apes d’Ille-et-Vilaine, en Bretagne, du côté de Rennes. Je m’appelle Morgane Robert.
Je n’ai pas d’enfant mais j’encourage l’association avec d’autres parents d’enfants sourds. Je vais faire un historique de la situation là-bas. Il y a deux instituts spécialisés dans la région. Ce n’est pas une classe bilingue, il y a sept professeur de l’éducation nationale, mais il y a un peu tout mélangé : LPC, langue des signes, oral. L’inspecteur d’académie ne fait pas d’évaluation sur le professeur en langue des signes. Il y a des professeurs spécialisés également, mais c’est tout. Il y a un autre établissement spécialisé du côté de Fougères, et c’est exactement la même situation.
En plus de ça, il y a des enfants qui sont intégrés dans d’autres écoles, donc il y a beaucoup de déplacements. Il y a très peu de traduction des cours qui sont faites. Les enfants ne comprennent rien en classe une fois que la personne qui traduit s’en va.
L’association Urapeda est implantée localement avec l’Adapeda. C’est un peu pour faire plaisir aux gens. Il y a des gens qui sont là, mais rien n’est fait concrètement. L’Adapeda se bat depuis vingt ans, et ça ne change rien.
Donc là, l’APES a été créée en décembre 2010 en Ille-et-Vilaine, par des parents qui ont des enfants sourds, qui sont sourds eux-mêmes, qui disent : qu’est-ce qu’on peut faire avec nos enfants ? Ils ont décidé de se bouger.
L’objectif est le respect de la loi de 2005. Par rapport au mode de communication, au choix des parents, avec des conditions à mettre en place. Ouverture de classe par exemple, en ou de LSF, pour faciliter l’accessibilité en classe des enfants au contenu, dans tous les domaines de la vie sociale également. Actuellement, il y a neuf enfants en attente de rentrer dans cette classe, donc on veut une classe bilingue pour le français écrit et la langue des signes.
Le problème, c’est qu’on a le projet de créer cette classe pour les petits. Les enfants de 18 mois à 7 ans, mais il y a aussi les plus grands qui attendent, mais pour eux, ce sera plus tard. On a pris rendez-vous avec l’inspecteur d’académie. Ça fait un an. Donc ça avance petit à petit. Les deux inspecteurs d’académie qui étaient là nous ont écoutés, mais il n’y a pas de résultat. Ensuite, on a rencontré le rectorat.
Ils nous ont écoutés également, ils ont commencé à faire des démarches. Ils essaient de faire quelque chose. Mais au niveau de l’organisation, on est en train de chercher par exemple dans le premier institut dont j’ai parlé tout à l’heure, il y a sept postes, mais on n’a pas embauché de professeurs titulaires, ils sont contractuels. Il y a aussi des recherche de financement à faire : qui va s’en occuper ?
Donc il y a trois choses importantes à faire : embaucher des professeurs à l’Éducation nationale. Souvent, ils n’ont pas le niveau en langue des signes requis.
Il faut également essayer de trouver, pourquoi pas des contractuels, mais qui resteraient longtemps. Ce ne sera pas avant 2013. Au niveau de l’Apes, on cherche des professeurs sourds qui ont une reconnaissance de travailleur handicapé, et un master 2.
L’inspecteur d’académie nous a dit qu’il était possible de faire un BOE (bénéfice obligatoire d’embauche). On espère qu’en septembre 2012, ça passe. Après, on va voir.
Et d’autres personnes qui ne sont pas BOE, mais là, il faut passer le concours de l’Éducation nationale classique. Donc ce serait pour 2013. La classe bilingue pour les tout petits. Après, pour le collège et le lycée, on verra bien la poursuite des études. Voilà. Merci.

- Vincent Edin : Merci Morgane. On parlait de disparités territoriales. Autant chez Catherine, on pouvait faire un petit peu mieux, autant chez vous, c’est un tableau de Pierre Soulage, un monochrome complètement noir.
Emmanuel Guichardaz, vous avez deux casquettes, mais vous avez accepté de parler ici en tant que rapporteur de ces questions pour le CNCPH, le Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Est-ce que ce qui a été dit concorde avec ce que vous observez ? Et vous nous ferez part de ce qui remonte, puisque tel est le rôle du CNCPH.

- Emmanuel Guichardaz : Tout à fait. Merci. Cet après-midi, des personnes représentant l’Éducation nationale seront présentes et défendront cette institution mieux que moi, d’autant plus que ma casquette est aussi syndicale, donc ça me permet de prendre un petit peu de recul.
Aujourd’hui, j’interviens en tant que rapporteur de la commission éducation-scolarité du CNCPH. Cette commission existe depuis l’instauration de cette institution et permet d’étudier et de faire part des remontées du terrain au niveau de cette instance de représentation du monde du handicap. Le CNCPH se réunit une fois par mois, et la commission scolarité autant. Elle a vocation à la fois de recueillir les remontées du terrain, mais aussi à se prononcer et donner des avis sur les textes qui nous sont soumis. Ils ne sont pas tous soumis à l’appréciation du CNCPH. Par exemple les circulaires, on a parlé de la circulaire PASS, ce n’est pas un réglementaire, donc il n’est pas soumis à l’appréciation du CNCPH. Seuls les décrets ou les lois y sont soumis.
Évidemment, la loi du 11 février 2005 a été longuement discutée. Pour le reste, on peut éventuellement donner des avis, et on peut auditionner des gens, on a souvent entendu les responsables de l’Éducation nationale nous dire ce qu’ils faisaient ou ne faisaient pas. A partir de là, on fait remonter les besoins. L’UNISDA est représentée aussi au sein du CNCPH et de cette commission, cela permet d’avoir un regard permanent sur les questions qui ont été soulevées.
Les témoignages qui ont été apportés aujourd’hui montrent bien toutes les difficultés auxquelles on est confronté. Le CNCPH rend un avis sur la politique qui a été menée. Le dernier a été rendu en 2010 en vue de la préparation de la conférence nationale du handicap. Cet avis n’est pas très tendre sur ce qui a été fait jusqu’à présent. Autant on peut reconnaître les avancées dans le domaine du droit, et je crois qu’ici, tout le monde les a reconnues, le droit pour les familles de choisir le mode de communication et donc d’avoir l’offre qui correspond en termes de structures de scolarité. Ce droit-là est inscrit dans la loi, et on fait en sorte qu’il soit bien solidifié, bien inscrit, qu’il ne soit pas remis en question.
On a aussi reconnu qu’il y avait quand même une progression au niveau de la scolarisation en général des élèves en situation de handicap. Incontestablement, les chiffres le montrent. C’est d’ailleurs une évolution qui avait commencé avant la loi de 2005. Elle s’est poursuivie, elle a été encouragée par la loi de 2005. Mais on a aussi reconnu tous les problèmes qui se posaient, notamment ceux de la qualité : qualité de la scolarisation, de l’accueil, les problèmes des professionnels non qualifiés, des structures qui manquent, des accompagnements qui ne sont pas là ou qui ne sont pas accordés à temps. Tout cela fait partie des choses qu’on porte fortement et qu’on inscrit dans les rapports qui sont soumis ensuite au gouvernement. Ce ne sont que des rapports, ce n’est pas forcément ça qui va faire la révolution. Vraisemblablement, il faut que les demandes soient portées aussi par les associations, je crois que vous le faites très bien, et ça permet certainement de faire avancer un petit peu les choses.
En préparant mon intervention, je suis tombé sur la revue Réadaptation de 2003. C’était très intéressant, on retrouvait exactement toutes les mêmes problématiques qui étaient posées : le choix des familles, le programme de l’enseignement de la LSF, le programme d’enseignement en LSF, la question du LPC, etc. Tout cela était dit, était su, était porté à la connaissance des responsables, et effectivement, maintenant, il faut mesurer le chemin parcouru et les obstacles qui demeurent.
J’en cite au moins deux. On a quand même un vrai problème de bricolage, on est encore à l’ère du bricolage. Il se fait des choses, ici ou là, vous en avez témoigné, mais ça se fait avec les moyens du bord ! Il y a encore des interprètes en LSF qui sont embauchés sous des contrats aidés, il faut compléter le salaire parce que ce n’est pas avec un contrat aidé qu’on peut accorder une rémunération correcte.
La circulaire PASS le dit bien. Elle dit que tous les dispositifs qui existent forment un PASS. C’est-à-dire que ça reconnaît l’état de bricolage. Il y a des choses qui se font, on met un nom dessus, et on dit qu’à partir de là le problème est réglé. Or non, il n’est pas réglé ! Il y a peut-être une reconnaissance de ce qui se fait, mais le problème n’est pas réglé car ce qui se fait n’est pas assez professionnalisé.
Par exemple, le problème des AVS. Nous avons bien fait la distinction entre cet accompagnement nécessaire pour un certain nombre de jeunes en situation de handicap et un accompagnement de professionnels, par des professionnels qualifiés, et qui ne peut pas être de ce même type. Le CNCPH l’a dit.
Autre problème, qui traduit d’ailleurs cette improvisation : la formation des enseignants (j’en suis). Dans la circulaire de 2008, il est dit que les enseignants… Pour constituer des pôles de LSF, on fait appel à trois types d’enseignants. Ce peut être soit des enseignants spécialisés qui maîtrisent la LSF pour des raisons souvent personnelles, ce qui veut dire qu’ils ont dû se former ailleurs, éventuellement qui ont pu bénéficier de certains stages, certains étant souvent d’ailleurs pris en charge par les organismes gestionnaires des associations dans lesquelles ils travaillent via leur établissement spécialisé.
Autre cas de figure : un enseignant du second degré ayant appris la LSF pour des raisons personnelles. Là aussi. C’est écrit dans une circulaire ! C’est fantastique !
Troisième catégorie, ça peut être un enseignant sourd, à condition qu’il soit enseignant et qu’il maîtrise lui aussi la LSF.
Vous voyez qu’avec ça, on n’est pas sorti de l’auberge ! Et on n’est qu’au tout début.
Il y a quelques avancées. On a par exemple maintenant un programme de l’enseignement de la LSF. On a un CAPES en langue des signes française, mais c’est cinq lauréats par an. Avec ça, il faudra encore du temps pour avoir suffisamment de professionnels qualifiés pouvant répondre à ces différents besoins. Non seulement nous devons répondre aux besoins qui ont été identifiés, dont vous vous êtes fait l’écho et qui ne sont pas réglés, mais aussi aux nouveaux besoins qui émergent. Effectivement, nous avons maintenant de plus en plus de jeunes qui nous arrivent, notamment dans les établissements ou services spécialisés, avec des problématiques plus complexes, qui nécessitent certainement une qualité d’accompagnement plus forte, plus intense, et il faut être en capacité de répondre à ces besoins-là.
Tout cela, évidemment, c’est une question de moyens, bien sûr, mais je me baserai sur le témoignage d’Anne-Laure, qui a bien expliqué que quand on met le paquet dès le début, les moyens et la qualité nécessaires, on gagne en autonomie. Et quand on gagne en autonomie, tout le monde y gagne, et la société y gagne. Donc n’hésitons pas à mettre les moyens dès le début, pour peut-être faire quelques économies par la suite.

- Vincent Edin : Merci beaucoup. Je savais déjà que le bricolage était une passion française, mais je ne savais pas que c’était appliqué à la scolarité.
Il a beaucoup été question de l’Éducation nationale, mais ils n’ont pas eu l’opportunité de s’exprimer. Pouvez-vous nous apporter un commentaire sur tout ce qui s’est dit ?

- Isabelle Champeau : J’ai aussi une double casquette car je suis aussi maman d’une jeune fille de 22 ans, qui est sourde profonde, sans oralisation, dépistée à l’âge de 2 ans, et qui s’exprime uniquement en langue des signes française.
J’ai vécu la galère de chercher des établissements proches de mon domicile. Je viens de la Corrèze, petit département très rural, avec peu de jeunes sourds, donc une académie très petite et avec peu de dispositifs. On a la chance malgré tout d’avoir des écoles avec des enseignants qui ont très bien encadré ma fille durant toute la maternelle.
Ensuite, sur Limoge, à l’époque, il y avait un institut avec des spécialistes, des éducateurs et des enseignants formés en langue des signes française, pas en LPC. Donc le choix s’est décidé sur la LSF aussi parce que les moyens qui existaient autour de chez nous étaient la langue des signes, donc on a plutôt orienté le projet sur la LSF. Je suis aussi enseignante à l’Éducation nationale, professeur des écoles, j’ai passé une spécialisation pour des déficiences intellectuelles. Maintenant, je suis conseillère pédagogique, sur un poste ASH, pour accompagner les enseignants qui scolarisent des élèves handicapés dans leur classe.
En Corrèze s’est ouvert un petit pôle PASS, à Tulle, l’an dernier. J’ai la chance d’avoir une inspectrice qui était elle-même enseignante dans une CLIS pour enfants sourds, donc qui a longtemps enseigné en langue des signes. Elle est bien sûr sensibilisée à la surdité.
On a eu une grosse réflexion avant de mettre ce pôle PASS en œuvre. Je suis tout à fait d’accord avec les constats faits : ça ne se met pas en place dans n’importe quelles conditions, notamment la formation des enseignants. Nous avions des enfants qui étaient sur la maternelle et une demande pour deux enfants en primaire.
Tant que nous n’avions pas formé les enseignants du primaire, on a mis une priorité pour les enseignants de maternelle, concernant la formation en tout cas, sur la surdité : qu’est-ce que c’est que la surdité, et un accompagnement de base, tout en sachant qu’on a programmé, dans le parcours de formation de ces enseignants-là, un accompagnement, avec des stages de formation chaque année, et on fait des bilans réguliers. J’accompagne ce pôle PASS en proximité, sur le terrain, de façon à réguler les accompagnements et les aides pédagogiques apportés aux élèves.
Maintenant, tout le parcours est ciblé, même s’il n’y avait pas d’enfants scolarisés par exemple au collège. Donc il y a des établissements qui sont ciblés : l’école maternelle, l’école primaire, un collège, un lycée général et un lycée professionnel.
Tout se fait en partenariat avec la MDPH.
Il a été mis en place une médiatrice pédagogique, qui a une certification de langue des signes, donc qui est spécialisée langue des signes. Nous n’avons pas, pour l’instant, sur le pôle PASS, l’interprète, l’interface de communication, puisque ça ne relève pas d’un emploi de l’Éducation nationale. C’est ministère de la Santé donc c’est aussi une interrogation que je souhaiterais poser cet après-midi auprès des personnes intéressées, pour savoir si le partenariat avec le ministère de la Santé et l’ARS, car pour l’instant, nous avons de gros soucis pour recruter une interprète ou une interface de communication sur le pôle PASS, car l’Éducation nationale ne peut pas le financer. C’est là aussi un peu du bricolage, parce qu’on cherche, avec les associations du département ou de l’académie des moyens pour financer, parce que c’est absolument indispensable qu’il y ait un accompagnement avec un interprétariat.
La médiatrice pédagogique joue son rôle de soutien scolaire, comme les textes le préconisent, plus l’accompagnement des enseignants en co-intervention en classe, cela se fait très facilement, avec l’adaptation des aides. Cela permet aussi aux autres élèves, qui sont inclus dans tout le projet, c’est-à-dire les élèves en milieu ordinaire avec eux sont sensibilisés à la langue des signes, car nous avons aussi un professeur de langue des signes qui vient de Paris-VIII, donc qualifié, qui non seulement enseigne la langue des signes aux enfants sourds, mais aussi la langue des signes aux autres enfants.
Actuellement, des cours de langue des signes sont donnés à tous les élèves de 6e pour une initiation, et ils se poursuivront l’an prochain par un choix des élèves intéressés. Actuellement il y a une trentaine de demandes pour poursuivre l’apprentissage de la langue des signes pour préparer l’option bac, car le lycée a déjà mis dans son cursus la proposition de l’option bac LSF comme toute autre langue.
Donc déjà avant de mettre en place ce pôle PASS, il a fallu énormément réfléchir à ce parcours. Peut-être que notre département a une particularité parce qu’on est une petite académie, et qu’il y a des volontés de personnes derrière, avec une réflexion. Je trouve qu’actuellement, le système, malgré tout, même si c’est un peu de bricolage, on essaie d’accompagner au mieux les élèves sourds, parce que le professeur de langue des signes intervient en maternelle, il intervient pour apprendre la langue des signes aux élèves sourds intégrés, comme une vraie langue. Il prend aussi des petits groupes d’élèves de la classe. Par exemple en école maternelle, c’est des contes, il y a des vidéos, par exemple sur l’apprentissage de la lecture : tout est filmé en langue des signes, car derrière, il y a un accompagnement de proximité, et on essaie de cibler au plus proche.
Donc ce n’est pas une classe bilingue, c’est vrai. C’est vrai aussi qu’on n’a pas de demande des parents en LPC. S’il y avait des demandes, parce qu’on respecte le choix des familles, car il y a des familles qui ont scolarisé leur enfant sourd sur le pôle PASS en ayant un choix oraliste sans LPC, mais l’apprentissage du français écrit est une priorité, quel que soit le mode de communication.
Si des parents voulaient intégrer le pôle PASS avec un codage LPC, c’est une réflexion que nous devrons mener. Nous n’avons pas eu de demande pour l’instant, mais il faut l’envisager.

- Philippe Maury : Je suis référent scolarité à la MDPH de Corrèze. Je suis venu avec l’animatrice de la plate-forme déficience sensorielle de la MDPH, qui est sourde.
Sur le partenariat qui devra être mis en place avec l’Éducation nationale, et à ce titre, je pense que le référent scolarité est la personne qui est l’interface dans ce partenariat. C’est ce qui se passe dans notre département, et ça se passe bien. Je suis en contact avec les familles et je relaie le travail des enseignants référents sur le terrain. Les familles des enfants sourds sont très impliquées mais aussi très patientes, très respectueuses. Je salue leur patience, en attendant que tout se mette en place progressivement.

- Vincent Edin : Merci beaucoup. On a restauré la parité de la parole avec l’Éducation nationale. Ce n’était absolument préparé, je vous jure que ce n’était pas un coup monté pour vous dire que dans la ville où François Hollande est député-maire, ça se passe bien. Je remercie infiniment les six intervenants de cette table ronde.
On a fait un très bon bilan sur l’état des besoins, qui restent d’ampleur.

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