Troisième table ronde
“Les professionnels dans la scolarisation : Référentiel métier ? Quelles missions et expertises ?”
Conférence de l’Unisda du 11 février 2012
Guylaine Paris, présidente de l’AFILS
Sophie Hirschi, chargée de cours pour le master d’interprétation LSF/Français à l’ESIT, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Annie Risler, co-responsable du master Interprétariat LSF/français – Université Lille 3
Aurore Dupin, présidente de l’ANCO
Brigitte Maunoury, directrice des études de la licence professionnelle de codeur LPC, Université Paris 6 Pierre et Marie Curie – Sorbonne Université
Anne Vanbrugghe, coordinatrice du pôle Surdité de l’INSHEA
Simon Houriez, directeur de Signe de Sens
Cliquer sur le nom pour accéder directement à son intervention
Table ronde
Vincent Edin : Nous reprenons l’après-midi avec une table ronde qui s’appelle « Les professionnels dans la scolarisation : référentiel métier ? Quelles missions et expertises ? »
Pour essayer d’être le plus pédagogique possible, on va vous montrer deux vidéos, l’une sur le métier d’interprète, l’autre sur le métier de codeur.
(Extrait vidéo de l’émission “Sourds et malentendus” de Point du Jour)
Vincent Edin : Guylaine Paris, pouvez-vous nous présenter qui vous êtes, quels sont vos métiers et à quels métiers vous formez. Peut-on revenir sur ce métier d’interprète ?
Guylaine Paris : Bonjour à tous. On ne forme pas. Je suis effectivement présidente de l’Association française des interprètes en langue des signes, l’Afils, interprètes et traducteurs d’ailleurs, en langue des signes. On ne forme pas. Nous accueillons au sein de notre association uniquement des interprètes et des traducteurs formés et diplômés.
Par rapport au métier d’interprète, ici, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui savent de quoi il s’agit, donc ce n’est peut-être pas la peine que je réexplique le métier d’interprète, surtout que ce sera peut-être un petit peu développé par les deux représentants des formations présents à mes côtés.
Par contre, en ce qui concerne l’interprétation en milieu scolaire, je voudrais commencer par ce qui est le titre de cette journée, à savoir « Respect du choix de la langue dans le parcours scolaire du jeune sourd », donc parlons langues. Effectivement, dans le parcours scolaire du jeune sourd, qui va de la maternelle à l’université, la langue est présente tout le temps, elle est présente dans la vie de tout le monde, et évidemment à l’école. Il nous semble, pour la grande majorité des interprètes de l’Afils, que les interprètes n’ont pas leur place au sein de l’école maternelle ou primaire, ou tout du moins pas toute la journée. Ce qu’il faut, auprès d’enfants qui ont une langue en construction… Les enfants entendants acquièrent la langue française vocale à la naissance, puis ils la construisent, et elle est solidifiée et acquise de manière assez solide vers dix ou douze ans, pour les enfants sourds, les premières recherches sur ce thème-là montrent un petit peu la même chose, c’est-à-dire que la langue des signes, si elle est donnée dès le plus jeune âge, elle va s’acquérir, se construire et être assez solide vers dix ou douze ans, à condition évidemment qu’on les mette dans une situation qui permette de faire ça, à savoir d’être avec des pairs et d’avoir face à eux des gens qui ont une maîtrise de la langue des signes correcte, et qui assurent ce qu’assurent des enseignants dans une classe. Donc on pense qu’en maternelle et primaire, la priorité doit être donnée à ce qu’on vient de voir, c’est-à-dire soit des co-enseignants sourds, soit des enseignants, sourds ou entendants, mais extrêmement bons signeurs face aux enfants, et formés à la pédagogie, car la pédagogie et la didactique, ça ne s’invente pas. Surtout qu’il y a des gens qui ont réfléchi là-dessus, donc autant en profiter.
L’interprète peut intervenir en maternelle ou en primaire, sur des sujets ponctuels, bien réfléchis avant, pas forcément sur des temps ludiques, ça peut l’être dans un premier temps, et après, en fin de primaire, on peut tout à fait envisager la présence d’un interprète, par exemple deux ou trois heures par semaine, sur un cours qui ne soit pas maths ou français, mais un cours de gym ou de travaux manuels, par exemple. Puis, pour montrer que la langue des signes, ce n’est pas que ça, que l’interprète puisse être également présent par exemple sur une heure de français, d’histoire ou de maths, pour ne pas associer la langue des signes à quelque chose qui soit seulement lié à des moments plus ludiques.
Maintenant, la place de l’interprète en secondaire et à l’université nous semble tout à fait adéquate, sachant que pour qui que ce soit, un plein temps d’interprétation, c’est extrêmement difficile. Je ne sais pas si vous avez déjà participé à une conférence dans une langue que vous ne maîtrisez pas, donc avec un casque sur la tête toute la journée, ou avec dans l’oreille un ou plusieurs interprètes qui se relaient toute la journée : c’est épuisant ! Donc en tant qu’adulte qui va à une conférence sur un sujet qui m’intéresse, je suis épuisée au bout d’une journée ou deux, donc j’imagine que des élèves sourds qui se tapent un ou plusieurs interprètes en relais toute leur semaine de scolarité, c’est épuisant. Donc c’est sûr, il faut habituer ces élèves à avoir des interprètes face à eux, mais il faut aussi faire en sorte qu’ils aient des cours en direct parce que c’est moins fatigant, ça permet un échange plus naturel, plus réel.
Donc l’interprétation appliquée à la scolarisation des élèves sourds, ce n’est finalement pas si différent de l’interprétation en conférence ou en réunion, c’est-à-dire que dans la mesure du possible, l’interprète traduit tout ce qui se dit dans la classe. Je dis « dans la mesure du possible » parce que certaines classes sont plus bruyantes ou plus volubiles que d’autres, et l’on a six ou sept jeunes collégiens qui parlent en même temps, même si on a dit qu’on ne pouvait pas traduire plusieurs personnes en même temps, il y a toujours un moment où ça ne fonctionne pas. On va dire à plusieurs reprises : « S’il vous plaît, je ne peux pas traduire tout le monde ! » Et on bout d’un moment, ça arrive de lâcher prise et on traduit celui qui parle le plus fort, celui qui prend la parole le premier, celui que le professeur pointe du doigt… C’est pour ça que je dis : « dans la mesure du possible ». Donc il interprète dans la mesure du possible l’intégralité des échanges, sachant qu’on entend parfois dire : l’interprète qui accompagne le sourd à la fac, ou dans son cours. Moi, parfois, par provocation, je dis que j’accompagne l’enseignant aussi, je l’accompagne lui surtout, parce que si je n’étais pas là, son cours ne passerait pas, et que c’est lui aussi surtout qui a besoin de ma présence parce que finalement, les élèves en classe parlent assez peu, donc celui qui a besoin de se faire entendre et de se faire comprendre, et qui finalement a besoin de moi, c’est le prof. Parce que c’est lui qui n’est pas capable d’enseigner à ses élèves, donc c’est surtout lui qui a besoin de moi.
Un élève sourd, évidemment aussi, mais les enfants entendants aussi. Donc l’interprète, il est surtout là pour une situation, sur une situation donnée, il va s’adapter à la situation principalement. De par sa connaissance des deux cultures, sourde et entendante, il peut être amené à informer l’enseignant sur un certain nombre de choses. Bien évidemment, l’interprète n’est pas, a priori, pédagogue, il n’est pas expert de la discipline, il ne maîtrise pas la didactique et la pédagogie inhérentes à l’enseignement de cette discipline, il ne peut pas aider le prof à adapter sa pédagogie. Par contre, il peut lui donner un certain nombre de conseils qui sont liés à ce qu’on pourrait appeler la culture sourde, des conseils qui, par ailleurs, peuvent parfois être aussi très positifs pour les élèves entendants.
L’interprète en milieu scolaire traduit tout. Il traduit, principalement en classe, bien sûr, mais aussi des réunions, si les élèves sourds sont investis dans la vie du lycée, sont par exemple élus délégués au lycée ou au collège. Il peut être amené à traduire des entretiens si le jeune a besoin de rencontrer l’infirmière ou le CPE. Il peut être amené à traduire des conférences, certains collèges, lycées ou universités organisant des conférences au sein de leurs établissements. Ce peut aussi être les examens. Je n’ai pas le temps de m’étaler sur ce sujet mais j’aurais pu en parler très longtemps parce que l’Éducation nationale ne facilite pas les choses. Puis, puisqu’on parlait langues, on nous demande souvent les limites de nos interventions. Une des limites, c’est quand on a face à nous un jeune sourd qui ne connaît pas la langue des signes, ça ne sert à rien. Sachant que s’il connaît la langue des signes suffisamment pour pouvoir papoter avec des copains dans le couloir ou la cour, notre présence peut être utile car ça peut l’obliger à structurer sa langue et sa pensée, car il sera amené à être traduit, et ça va devenir une langue de travail. Et à partir du moment où une langue devient langue de travaille, elle se structure et s’enrichit.
Il y a une autre question fréquente qui tient au lexique, aux fameuses carences lexicales de la langue des signes dont il a été question ce matin. Oui, il y a des carences lexicales, on le sait, du fait de l’histoire, sachant que c’est à la fois un vrai et un faux problème. C’est un faux problème si on est en situation de conférence par exemple, car on peut faire des périphrases, épeler, trouver des stratégies pour palier ces carences. En milieu scolaire, c’est un vrai problème car l’épellation ralentit quand même beaucoup le rythme d’expression en langue des signes, et les périphrases, ça peut nuire à l’activité pédagogique de l’enseignant qui attend un certain nombre de choses. Et en formation, on apporte des solutions, justement, on explique à l’étudiant. J’étais pendant onze ans chargée de cours à l’Esit, et pendant onze ans, j’ai passé mon temps à expliquer aux étudiants comment faire pour trouver des solutions pour pallier ça. Les premières, c’est les ressources : par exemple la Villette, Universciences, où il y a plein de choses concernant les sciences, CMN (Centre des monuments nationaux) pour tout ce qui est lié à l’histoire, il y a des sourds qui y travaillent donc qui créent du lexique, dans les structures, les entreprises spécialisées, il y a des professionnels sourds qui travaillent et qui discutent entre eux, qui vont donc créer du lexique, on peut aller chercher chez ces gens-là. On peut aller voir sur Websourd ou d’autres sites pour récupérer des signes. Provisoirement, on peut faire des emprunts à des langues des signes étrangères, qui ont peut-être déjà le lexique du domaine concerné, sachant qu’en français, on le fait, on va souvent prendre des mots en anglais. Si vraiment après tout ça on n’a pas trouvé, on peut provisoirement créer un code, et ce code peut assez rapidement être abandonné au profit d’un signe qu’on aurait trouvé auprès des ressources que je viens de citer.
En conclusion, je voudrais dire qu’interprète appliqué à l’école, c’est important. C’est important que ce soit un professionnel qui ait sa place claire, précise, et ne pas donner n’importe quoi aux élèves parce qu’on dit souvent que les adultes sourds sont confus, mélangent tout, ne font pas bien, etc. Pour avoir été enseignante (je dois d’ailleurs cette année être la seule interprète de l’Éducation nationale), je pense que si l’enfant grandit dans des situations qui ne sont pas claires, avec des adultes face à eux qui ne sont pas clairs, avec des postes pas clairement identifiés, chacun faisant tout et n’importe quoi, et pas forcément très bien, il ne faut pas s’étonner qu’après, ces enfants deviennent des adolescents qui vivent dans le flou, et peut-être plus tard des adultes qui continueront à vivre dans le flou.
Vincent Edin : Je suis navré de vous avoir coupée un peu, mais je dois faire respecter l’égalité du temps de parole. La fin de votre exposé nous a bien montré les très graves dangers qu’il y avait à ne pas mettre en avant ce métier dans tout ce qu’il avait de spécifique puisque quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup…
Qui empêche les loups de venir ? Sophie Hirschi, vous retrouvez-vous dans ce qu’a dit Guylaine qui a été douze ans chargée de cours là où vous enseignez, à l’Esit ?
Sophie Hirschi : Sur pas mal de points, oui. Bizarrement, sur la possibilité d’utiliser périphrases et épeler en conférences, je trouve ça plus facile de le faire en situation pédagogique, le rythme étant plus lent, on a plus le temps d’utiliser ces tactiques. Mais c’est un détail. Je vais parler au nom de l’équipe de l’Esit, je vais essayer de suivre ma trame.
J’ai travaillé aussi en milieu scolaire pendant une dizaine d’années, en primaire en tant qu’interprète.
L’interprétation en milieu pédagogique est un sujet complexe en traductologie car il revêt de nombreuses réalités. Le champ d’intervention peut être très large. Un certain nombre d’interprètes pensent qu’il est possible d’intervenir comme interprète en milieu pédagogique primaire, du primaire en passant par les BEP, les formations professionnelles et l’université. Les situations sont très variées car il peut y avoir des inclusions sauvages, comme on les appelle, jusqu’à des structures d’éducation bilingue.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu consacrer un module d’interprétation en milieu pédagogique dans notre master d’interprétation à l’Isit, en nous basant sur l’expertise de nos chargés de cours, exerçant notamment dans des structures d’éducation bilingue, ainsi que sur les recherches faites par nos collègues anglo-saxons pour l’élaboration des contenus, ceci afin de donner à nos étudiants des éléments de réflexion nécessaires à cette spécificité qu’est l’interprétation en milieu pédagogique.
Nous ne sommes pas les seuls à travailler en milieu pédagogique, ça se passe notamment avec les Roms, des expériences similaires en Afrique du sud : dès qu’il y a une langue majoritaire et des langues minoritaires, il y a des interprètes qui travaillent dans ces milieux-là. Pour en revenir à la France, est-ce un manque d’interprètes, une volonté politique ou un manque de moyens financiers, ou éventuellement les trois ? Ce qui est à déplorer, c’est que les jeunes élèves sourds se voient mettre à disposition de plus en plus des AVS sans aucune expertise linguistique, au moment où, justement, ils auraient besoin d’une référence linguistique solide et de liens avec la communauté signante.
Pour information : un AVS reçoit environ 60 heures de formation, pour 800 heures théoriques en deux années de master dans les universités comme Paris-III ou Paris-VIII, en dehors des périodes de stage.
La mise en commun de nos expériences professionnelles nous amène à penser qu’en situation pédagogique, l’interprète est plus qu’un vecteur, il est un collaborateur, un collègue de l’enseignant. Il prend en charge l’interprétation du discours pédagogique ainsi que les interactions de tous, c’est-à-dire la vie de la classe. L’enseignant est pour l’interprète une personne ressource vers qui il se tourne. Le bon déroulement d’un cours, pour l’interprète, c’est un contenu connu, accessible, un confort auditif, une trace visuelle du nouveau concept abordé au tableau par exemple, et une attention de l’étudiant. Parlons de l’étudiant, justement, on met en évidence la relation qu’il y a avec l’étudiant. C’est une relation spécifique, et l’interprète, au fil du temps…, car on considère que l’interprète en milieu pédagogique a des interventions régulières, c’est-à-dire qu’il choisit un cours en début d’année et le suit tout au long de l’année, ce qui lui permet de construire également son bagage cognitif, en même temps que son discours). Donc cette relation tout au long de l’année, il la crée avec l’étudiant. On pense que c’est important qu’il y ait un climat de confiance, un respect mutuel entre le trinôme enseignant, étudiant et interprète.
Il y a souvent une distance préconisée entre l’interprète et l’étudiant, qui est un peu valorisée comme une marque de professionnalisme. Nous, nous considérons que le professionnalisme est plutôt dans l’aisance qu’a l’interprète à se situer dans une situation pédagogique.
On rappelle également que l’interprète n’a pas autorité sur l’étudiant, pas plus que l’étudiant sur l’interprète, ni l’enseignant sur l’interprète, et inversement.
Comme dans toute situation d’interprétation, il y a une prise en charge du discours, ici le contenu pédagogique, ainsi que des intentions qui se dégagent de ce discours. Donc un cours très vivant ou un cours délétère sera rendu également de la même façon en langue des signes. Sur ce point, l’interprète en situation pédagogique ne varie pas de ce que fait un interprète en situation non pédagogique. L’accessibilité à un cours est l’accessibilité au cours dispensé à tous. Cependant, là où diffère son rôle, c’est qu’il porte une attention particulière à la réception que va faire l’étudiant de son interprétation, et à cet effet, de nombreuses interactions ont lieu pendant le cours, qui servent à réguler la communication. C’est-à-dire que quand on propose une périphrase ou un code, on s’assure que cela est compris par l’étudiant. Et ce n’est pas forcément visible par l’enseignant ou les élèves de la classe. Cynthia Roy* a beaucoup travaillé dans ce domaine-là. Ces interactions sont nécessaires pour l’étudiant, qui construit son savoir, et pour l’interprète, qui construit son discours.
Il y a eu de nombreuses recherches à ce sujet, notamment à Gallaudet et en Australie, et nous constatons, à la lecture de ces recherches, que nous avons plus ou moins la même pratique. L’attention de l’interprète est d’autant plus grande que le cours est ardu et que le lexique en LSF pourrait faire défaut. C’est sur ce point qu’il faut noter qu’un AVS, par exemple, ou un autre professionnel non formé à l’interprétation, y verrait une limite, et ce serait souvent sa propre limite linguistique. Alors qu’un interprète contournera la difficulté en choisissant parmi des tactiques d’interprétation celle qui est adaptée.
Philippe Séro-Guillaume a écrit : « Il faut permette à l’étudiant sourd d’effectuer le même travail intellectuel de recherche, de compréhension et de questionnement. Procéder autrement revient à faire obstacle à l’action pédagogique. D’où la nécessité de ne pas proposer une intervention simplifiée ou surexplicative au travers de laquelle l’étudiant n’aurait plus la même démarche intellectuelle comme proposée par l’enseignant. »
En effet, en plus du sens du discours, la forme du français est importante pour les étudiants puisqu’il s’agit de la langue de restitution des connaissances. Cela fait partie du travail de l’interprète dans cette situation de prendre cela en compte dans la forme de l’interprétation, c’est-à-dire qu’on amène en même temps le fond et la forme, dans les cas où c’est nécessaire.
C’est alors que les compétences linguistiques de l’interprète entrent en jeu. Nous intervenons dans des domaines de spécialités extrêmement variées, qui vont de la pisciculture à la chimie fine analytique, en passant par les diplômes de comptabilité générale, où le lexique standard n’est pas encore fixé. Ces difficultés techniques et linguistiques que doit gérer l’interprète ne doivent pas faire obstacle à l’apprentissage de la matière. C’est là que la formation prend toute sa dimension et fera la différence avec quelqu’un qui n’a aucune idée de l’exercice de l’interprétation.
L’interprète peut alors proposer des signes qu’il aura élaborés en fonction des connaissances acquises au fur et à mesure des séances où il aura traduit, ainsi que ses connaissances en langue des signes et les discussions qu’il aura eues avec l’étudiant, qui connaît souvent mieux la matière que lui, afin que ce qu’il traduit ne soit pas simplement un agencement de codes qui n’a plus de sens pour l’étudiant.
L’interprète peut également s’adapter à la demande et aux besoins linguistiques de l’étudiant qui peut parfois demander une interprétation plus littérale. Des situations de transcodage sont assez rares, mais nous les avons rencontrées notamment dans le domaine de l’informatique. Dans la mesure où ce sont des demandes de l’étudiant, nous préconisons de respecter ce choix de communication. Qui peut le plus peut le moins !
L’interprétation en situation pédagogique demande bien alors un investissement dans la relation pédagogique enseignant/étudiant, ainsi qu’une appétence pour la recherche néologique. La dimension pédagogique fait bien alors partie intégrante de la stratégie interprétative mise en place. Je vous renvoie à un article qui vient de paraître, que vous trouverez sur le site justtrans*, qui parle de ces tactiques d’interprétation en milieu pédagogique. Merci.
Vincent Edin : Merci. On a bien vu les spécificités du métier d’interprète, on commence à voir cette différence qu’on sent depuis ce matin avec les AVS, ne serait-ce que parce qu’il y a un rapport de 1 à 13 dans les formations. Cela dit, bien évidemment, il ne s’agit pas de charger les AVS, les malheureux, c’est plutôt de la chair à canon quand ils sont envoyés dans une classe dans l’incapacité d’apporter aux enfants ce qu’ils voudraient. Il s’agit plutôt de mettre en avant la spécificité du métier d’interprète. Annie Risler, vous êtes co-responsable du master d’interprétariat que vous avez fondé en 2003 ?
Annie Risler : Le master a été fondé en 2003, ce n’est pas moi qui l’ai fondé, mais j’ai eu le plaisir d’arriver à Lille pour le mettre en œuvre, parce que l’université de Lille l’a fondé et il n’y avait pas de spécialiste enseignant dans le champ de la langue des signes et la surdité. Donc je suis arrivée à Lille en tant que linguiste spécialiste de langue des signes, et j’ai pris en charge l’organisation du master.
Vincent Edin : Vous ne formez que douze personnes par an, alors qu’on a vu ce matin que les besoins étaient incommensurables. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Annie Risler : Oui, on ne forme qu’une moyenne de douze interprètes par an. Il y a des besoins énormes, mais aujourd’hui, il faut faire la balance entre les besoins et les possibilités d’employer des interprètes. Il y a deux ou trois ans, on aurait dit qu’il faut ouvrir des tas des lieux où former des interprètes, car il y a des besoins. Depuis quelques mois, la situation change un peu, car il y a des besoins mais on ne va pas former des interprètes sans arrêt car on ne sait pas s’ils auront du travail après. Il y a des besoins, mais il n’y a pas forcément énormément d’offres d’emploi derrière, la situation commence à changer.
Vincent Edin : Sophie Hirschi disait qu’à l’Esit, il y avait également douze interprètes formés par an. Pour l’instant, le taux d’emploi, ça reste encore 100 % ?
Annie Risler : Jusqu’à présent, le taux d’emploi était largement de 100 %, les étudiants étaient quasiment embauchés avant d’avoir terminé leur examen. Jusqu’à l’an dernier, ils étaient pratiquement certains d’avoir un poste à la sortie. Là, la situation commence à changer, c’est pour ça que dans les réflexions sur les formations il y a des choses à repenser aujourd’hui.
Notre master a été ouvert en 2003. Au début, c’était un DESS car il n’y avait pas encore de master à l’université. C’est devenu un master selon la répartition des diplômes à partir de 2004. On a été la première université en France à proposer une formation d’interprète à un niveau bac+5. Depuis, toutes les formations diplômant des interprètes se sont alignées sur ce niveau bac+5 de l’université.
Selon les pays et les écoles, les formations d’interprètes sont organisées un peu différemment. Il y a des pays où on prend les étudiants au tout début de leurs connaissances de la langue des signes, et en même temps qu’ils sont formés à la langue des signes ils sont formés à l’interprétation. En France, ce n’est pas le cas. La formation d’interprète, c’est un master, donc un diplôme qui intervient après une licence. Donc ce sont des étudiants qui sont titulaires d’une licence à l’université, en général, et qui après entament un cursus de deux ans, le cursus de master. Ça veut dire que les étudiants qui entrent en master d’interprétation connaissent déjà la langue des signes, et pendant ces années de formation à l’interprétation, on apprend à travailler avec deux langues, la langue française et la langue des signes. Ce n’est pas seulement des années où on apprend à traduire et simplement travailler avec la langue des signes. Donc on accueille des étudiants qui ont un très bon niveau de langue, aussi bien en française qu’en langue des signes.
On a une spécificité à Lille. Ce master est organisé en deux ans, mais on accueille des étudiants en première année qui n’ont pas encore un très bon niveau en langue des signes, car on a décidé de garder la deuxième année du master pour l’acquisition des techniques d’interprétation. La première année permet de consolider les connaissances du milieu sourd et d’asseoir les compétences en langues, autant en langue des signes qu’en français.
Pour nous, cette première année est intéressante car il y a de plus en plus d’étudiants en France qui veulent être « professionnels de la langue des signes ». Et l’université actuellement ne propose, en termes de diplôme, que des formations d’interprètes.
Il est certain que l’interprétariat, ce n’est pas fait pour tout le monde, c’est un métier très particulier. Cette première année permet à nos étudiants de faire le tri et de comprendre ce que c’est que l’interprétation, sans déjà acquérir les techniques, mais déjà vraiment comprendre ce que c’est, où se place l’interprète, ce qu’il y a autour de lui, et ce qu’il peut y avoir aussi comme autres perspectives de travail qui ne soient pas de l’interprétation. Donc ça permet à nos étudiants d’affiner leur projet professionnel.
La deuxième année, pour les étudiants qui y accèdent, car on a un examen très sélectif pour la deuxième année, ils vont acquérir les techniques d’interprétation, mais continuent aussi à travailler sur la langue française, sur la langue des signes, affiner leurs connaissances dans les deux langues et les techniques d’interprétation. Ils vont aussi se livrer à ce qu’on demande à un étudiant de master, c’est-à-dire un travail de recherche et de réflexion.
Dans la formation, il y a aussi tout un temps de stage pratique, car en deuxième année, les étudiants passent plus de trois mois auprès d’interprètes sur des stages tutorés, où ils mettent en pratique ce qu’ils apprennent dans les cours de l’université.
Je voudrais revenir sur le niveau de bac+5 et le nombre d’heures de formation. On dit toujours que ça fait 780 heures d’enseignement sur les deux ans, je rajouterais les trois mois de stage. Mais ce n’est pas seulement une question de nombre d’heures d’enseignement, mais aussi une question de contenu et ce qu’on demande comme travail aux étudiants. Un bac+5, c’est un diplôme de master. Derrière tout ça, il n’y a pas seulement une acquisition de connaissances mais une position de quelqu’un qui pourrait faire de la recherche. C’est quelqu’un qui a acquis des connaissances mais aussi une position, qui fait qu’il est capable de prendre du recul sur des situations, de les analyser, et il est autonome aussi en matière de recherche d’informations quand il n’en a pas. Bac+5, à l’université, ça veut dire quelque chose. On le voit tous les jours, on a des étudiants qui veulent être interprètes, mais s’ils n’y arrivent pas, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas bons en langue des signes. Ils sont peut-être très bons en langue des signes, mais en français, ils peuvent être déjà moins performants, et en ce qui concerne le niveau universitaire, on va dire non. Il peut être bon en langue des signes mais ne pas être capable d’être titulaire d’un diplôme bac+5. C’est très important.
Sur la formation à l’interprétation scolaire, il n’y a pas grand chose de spécifique à dire, sinon que nos étudiants qui doivent réaliser un mémoire en fin d’études s’intéressent souvent à cette question. C’est justement là qu’ils acquièrent énormément de bagages pour la suite de leur exercice professionnel, à être obligés de creuser une question et aller réaliser un vrai travail de recherche.
Je voudrais dire autre chose en tant qu’universitaire : en tant que responsable de la formation des interprètes, je fais partie de l’université, qui a un rôle important à jouer aussi dans la formation de nombreux professionnels. On a parlé ce matin de la formation des enseignants, c’est aujourd’hui l’université qui est responsable de la formation des enseignants.
Nous, on forme des interprètes, mais on doit aussi se demander s’il n’y a pas d’autres personnes à former aussi, c’est-à-dire qu’il y a une réflexion à laquelle l’université doit s’associer qui est de se demander si la demande qu’on observe sur le terrain, en termes d’accompagnement de la scolarité de l’enfant sourd, s’il y a une offre qui correspond à la demande dans ce domaine.
Peut-être que la question de la formation de davantage d’interprète doit être posée autrement, c’est-à-dire : quelle est cette demande ? Est-ce bien l’interprète qui peut y répondre ? Un certain nombre d’élèves sourds veulent suivre un enseignement qui sera donné en langue des signes. Pour cela, qu’est-ce que l’université a à faire pour que cet enseignement puisse être reçu par l’élève en langue des signes ? Pour que l’élève reçoive l’enseignement en langue des signes, peut-être qu’il y a l’intervention des interprètes, mais aussi que cet enseignement soit donné directement en langue des signes. C’est vraiment un premier point sur lequel il est important de se pencher. Et réfléchir aussi à la question de savoir si l’offre proposée par l’interprète correspond exactement à la demande qui est faite, car on sait qu’il y a parfois des demandes en termes d’interprétation qui peuvent ne pas tout à fait correspondre avec le cadre de travail des interprètes, par rapport au code déontologique ou des choses comme ça. Donc je crois qu’il y a des choses qui demandent encore à être réfléchies par rapport à ce que peut apporter l’université dans la formation des professionnels.
Pour terminer, je voudrais l’illustrer par quelque chose qui est apparu dans notre université cette année. Je disais que lors de la première année, les étudiants réfléchissent beaucoup. Cette année, nous avons reçu une demande émanant d’étudiants ayant suivi notre cursus jusqu’à la fin de la première année de master, et qui ont construit leur projet personnel de devenir enseignants, ils veulent enseigner en langue des signes. Ils ne veulent pas être enseignants spécialisés mais veulent enseigner en langue des signes. Il y a deux étudiants qui se sont engagés dans ce cursus-là. Je crois que l’université doit aussi organiser une formation qui pourrait peut-être entrer dans ce cadre-là. C’est à réfléchir certainement.
Vincent Edin : Je vois Cédric Lorant opiner, donc je pense que l’’Unisda sera associée à ces réflexions. Merci à toutes les trois, car je note que l’interprétariat est extrêmement féminin. On a bien compris qu’un interprète, c’est largement plus que quelqu’un qui maîtrise la langue des signes.
On va passer maintenant une vidéo présentant le LPC et la profession de codeur.
(Vidéo sur le métier de codeur LPC – Pôle Emploi)
Transcription : Je suis codeuse LPC, c’est la langue française parlée complétée.
Ça s’adresse aux personnes sourdes, aux enfants sourds en milieu scolaire notamment, mais également aux personnes sourdes en milieu professionnel ou tout au long de leurs études.
Ça va montrer ce que la personne sourde ne peut pas lire sur les lèvres, simplement parce qu’il y a des confusions.
On dit pain, bain, main, c’est exactement le même mouvement des lèvres, ça permet de montrer. On parle en français, et simplement, on montre la finesse de la langue. Ça n’a rien à voir avec la langue des signes qui est une langue à part entière, avec sa grammaire qui lui est propre, comme l’anglais, le chinois ou le russe.
Le LPC est d’ailleurs beaucoup plus simple à apprendre. Ce code visuel s’acquiert en une douzaine d’heures et un peu de pratique. Le tout dans le cadre d’une licence professionnelle ouverte aux titulaires d’un DEUG ou aux personnes en reconversion par une validation des acquis de l’expérience.
C’est un métier qui est accessible car on peut se former rapidement.
En France, nous sommes environ 250 codeurs. Nous sommes relativement peu par rapport à la demande et aux besoins. La licence a été ouverte depuis quelques années, ce qui permet d’apporter un personnel qualifier sur le terrain pour répondre aux besoins des élèves sourds.
Car les codeurs changent très concrètement la vie des personnes sourdes, et ils deviennent de plus en plus indispensables.
Le but, c’est d’en faire un élève qui soit épanoui et qui soit dans la normale de la société. La plus belle récompense, c’est quand on voit un élève qui percute en même temps que les autres, qui est vraiment fondu dans sa classe.
Un très beau nouveau métier plein d’avenir !
Aurore Dupin : Je suis codeuse LPC et présidence de l’ANCO, qui est l’association nationale des codeurs LPC.
On reviendra sur ce qui est dit dans ce reportage, notamment par rapport à la formation.
Je vais commencer par donner une définition de notre profession. Ce métier est reconnu par la loi du 11 février 2005. On apparaît dans cette loi. C’est un exercice professionnel qui requiert une licence professionnelle de codeur LPC.
Nous sommes des professionnels de la surdité, et j’insiste bien sur le terme professionnel, pour faire un écho sur ce qu’on a entendu par rapport aux AVS. Ce qu’on a dit sur les 60 heures de formation, ce n’est pas tout à fait exact. Pour la surdité, un AVS a une formation de deux journées au maximum. Les 60 heures de formation, c’est tous handicaps confondus.
Ensuite, on intervient dans des lieux divers, en milieu scolaire, bien sûr, mais pas seulement, on peut intervenir en milieu professionnel et culturel.
On pourra intervenir pour une personne sourde dans la classe, mais aussi pour plusieurs, jusqu’à trois, ce qui entraîne des adaptations importantes. Puis on intervient dans des situations où la réception labiale ou audio-labiale est difficile, voire impossible. On connaît tous les situations de classe, mais aussi lors d’une conférence, où on a un bruit de fond ou différentes interactions qui complexifient les choses. On voit se détacher deux grandes facettes du métier de codeur : le codeur transmetteur et le codeur accompagnateur. Le codeur transmetteur a pour rôle de transmettre tous les messages oraux en langue française à l’aide du code LPC, et ce, en adaptant au minimum le discours oral. En gros, on ne change pas le discours, à la virgule près, un petit peu comme ce qui peut se passer au niveau de l’interprétariat. On a beaucoup de points communs dans nos deux métiers, mais on a aussi certaines différences notables, notamment en ce qui concerne notre rôle de codeur accompagnateur. Là, le codeur transmet également les messages oraux. On parle de message, c’est le message de l’interlocuteur direct, mais également tout le sonore, c’est-à-dire les interactions des autres élèves, et toutes les interventions hors langage, donc des bruits, des mouvements particuliers qui vont interpeller les élèves.
On intervient principalement auprès d’enfants, de jeunes sourds qui sont intégrés… Vous m’excuserez, je ne parle pas d’inclusion, je trouve que c’est un gros mot. Donc qui sont intégrés dans des classes ordinaires, jusqu’aux enseignements supérieurs.
On accompagne l’élève sourd dans ses apprentissages, qu’ils soient linguistiques ou scolaires.
On est également une composante importante de l’équipe pédagogique, l’équipe spécialisée et aussi l’équipe d’accueil. Le partenariat avec les enseignants est quelque chose de primordial dans notre métier.
On intervient aussi pour faciliter l’intégration des élèves et leur socialisation.
Je vais revenir sur les différents accompagnements. En ce qui concerne les accompagnements linguistiques, on a pour but de majorer le niveau de langue. On n’intervient pas de la même manière pour un élève en petite section de maternelle, un élève en primaire et un élève en lycée. En maternelle, on réalise des adaptations linguistiques en fonction du niveau de langue de l’élève. On a pour rôle de favoriser la compréhension de cet élève pour qu’il soit au même titre que les autres capable d’acquérir ce que son enseignant veut lui apporter. On utilise toutes sortes d’aides visuelles. On ne se borne pas à avoir uniquement un code théorique. On apporte à cet élève tout ce qui va lui permettre de comprendre, donc des supports visuels tels que des images, de la mimo-gestualité, de l’expressivité, on peut également utiliser quelques gestes de la langue des signes quand l’élève les connaît pour faciliter sa compréhension. Tout ça se fait en miroir avec le LPC pour mettre un mot codé sur une notion, sur une situation.
On intervient également dans les apprentissages scolaires. Pour tout ce qui est compréhension, mais aussi tout ce qui est expression de la langue française, qu’elle soit orale ou écrite. On peut effectivement encourager l’élève, le valoriser pour qu’il puisse aussi lui-même faire ses propres essais-erreurs en intervenant, en posant ses questions, en ayant aussi le temps de la réflexion comme un autre élève.
On sera aussi amené à être attractif. Même si le cours ne l’est pas tellement, si on veut faire passer des choses, on va essayer d’être le plus intéressant possible pour que les choses passent plus facilement. Effectivement, c’est fatigant de regarder quelqu’un toute une journée, donc si on n’a pas cette expressivité en plus, les personnes en face de nous se lassent. Donc on veille à ce qu’ils ne se lassent pas.
Au niveau de la gestion de la voix auditive, on a des jeunes qui ont de plus en plus des restitutions auditives qui leur permettent de suivre une partie des enseignements sans s’appuyer sur d’autres aides. Malgré ça, il est évident que leur audition seule ne suffit pas, qu’il y a beaucoup de confusions, qu’il y a des choses qui manquent. Donc on est amené à intervenir pour les aider au fur et à mesure à ce qu’ils sachent quand ils pourront effectivement s’appuyer sans soucis sur cette audition seule et quand il y aura besoin qu’on leur apporte un complément, afin qu’ils aient tout le message que l’enseignant veut leur transmettre.
Ça passe également par l’autonomie dans la prise en charge des appareils. Au fur et à mesure que l’élève grandit, on évolue aussi avec lui pour qu’il soit de plus en plus autonome dans ses gestions. On est aussi amené à l’accompagner pour tout ce qui est vie scolaire, c’est-à-dire qu’on a un rôle important pour l’intégration, et également la socialisation du jeune. Quand il se retrouve en situation de récréation, c’est important qu’il puisse échanger avec les autres élèves, qu’il puisse lui aussi faire partie de la vie de l’école.
Je vais insister sur le partenariat qu’on a avec les enseignants car c’est quelque chose d’essentiel. Nous sommes accueillis dans les classes de l’Éducation nationale. On n’a, comme les interprètes, aucun rôle pédagogique à jouer. Par contre, on a un rôle important pour tout ce qui est échanges, éventuellement conseils, information sur la surdité, sur le LPC, sur l’élève qui est accueilli en classe. On peut aussi apporter un soutien quant à l’évaluation des difficultés de ce jeune, la mise en place de stratégies, mettre en commun aussi les observations qu’on peut faire pour harmoniser notre manière d’intervenir.
Tout ça ne se fait pas de manière innée parce qu’on sait coder, d’où l’importance d’avoir une professionnalisation dans laquelle on apprend les bases essentielles pour pouvoir s’adapter, intervenir au mieux pour l’enfant, auprès de lui, en fonction de l’enseignant et de la classe qu’il a.
Vincent Edin : Merci beaucoup, c’était très clair. Vous en avez d’ailleurs tiré une fiche référentielle que vous avez donnée à l’UNISDA et qui est dans les dossiers.
Brigitte Maunoury, vous êtes directrice des études de la licence professionnelle des codeurs LPC, à l’Upmc, l’Université Pierre et Marie Curie.
Brigitte Maunoury : Le nouveau terme maintenant, c’est UPMC Sorbonne Université. Je suis en charge de diffuser le nouveau sigle.
Vincent Edin : Qu’est-ce qu’on y fait ? Ce matin, apparemment, j’ai été extrêmement optimiste visiblement en disant qu’il y avait un ratio de 1 à 23 pour les heures.
Brigitte Maunoury : Selon les calculs qui sont faits, si vous partez du principe qu’il y a 60 heures de formation pour les AVS, on n’était pas très loin, mais les 60 heures n’existent pas. C’est de l’ordre de 2,5 jours, et les AVS ont des métiers précaires, il n’empêche que les gens, en fonction du temps de formation, on formalise les formations sur les différents handicaps.
J’y revendrai après, car l’intervention de Marie-Anne Montchamp, qui a dit fièrement que le nombre d’AVS était en augmentation, je dois dire que quand on ne met pas ça en lien avec des résultats attendus, je ne vois pas comment on peut se venter d’un nombre d’AVS qui augmente si on ne met pas en corrélation des résultats qui vont de pair avec le nombre d’AVS recrutés. On ne doit pas être fier de quelque chose dont on ne peut pas prouver les résultats.
La licence professionnelle de codeurs LPC est née sur deux vagues. Vous parliez de la réforme universitaire du LMD (licence, master, doctorat), et également le bac 2005. Donc on aurait pu être extrêmement optimiste sur l’idée que les codeurs allaient prendre une place très importante. Le but est effectivement qu’ils la prennent, mais la réalité n’est malheureusement pas toujours celle qu’on pourrait attendre.
Je voudrais dire que les pré-requis, on forme en une année. Une licence professionnelle, c’est un recrutement à bac+2, avec une ouverture beaucoup plus large puisqu’on offre aussi la possibilité à des personnes qui n’ont pas le bac, voire pas bac+2 d’entrer en formation, grâce à la VAE. Donc c’est une belle expérience d’ouverture. On a également une ouverture par rapport au conseil régional Ile-de-France qui offre à sept demandeurs d’emploi la possibilité d’entrer en formation. La vidéo proposée est celle qui a été tournée par le Pôle emploi, et ceci parce que le CRIDF propose à des demandeurs d’emploi d’entrer en formation.
Ce n’est pas parce qu’ils sont demandeurs d’emploi qu’on les prend, mais on les sélectionne, sur des critères de maîtrise de la langue française écrite et orale, puisque le codeur intervient tant sur la langue française orale que sur la langue française écrite.
Sur les pré-requis, bien évidemment : intérêt à l’enfance, capacité de travailler en équipe, beaucoup de choses de qualité plus humaine. Ils sont sélectionnés par un jury, et toujours, il y a une personne sourde dans le jury qui est présente pour accompagner et pour véritablement avoir les critères « du client », qui va bénéficier ensuite des services du codeur.
Les compétences attendues en fin de formation : il y a les capacités d’analyse. C’est très important. Il y a une chose essentielle, c’est qu’on intervient en connaissant le niveau de langue et le niveau de décodage de l’élève et de la personne auprès de laquelle on intervient. Cette connaissance est basée sur des connaissances objectives, les tests de langage qui sont faits, les tests de décodage, et également ses compétences en situation. Parce que ce que vous pouvez avoir écrit en termes de compétences linguistiques, parfois vous ne le retrouvez pas quand la situation du jeune est une situation d’apprentissage, et quand le codeur intervient en classe, il intervient au moment des apprentissages du jeune.
Deuxième point important : une capacité d’identifier la pédagogie de l’enseignant. Vous avez autant de pédagogie que d’enseignants. Vous avez les grandes classes de pédagogies, mais il n’empêche que chaque enseignant a sa pédagogie propre, et le codeur se conforme à la pédagogie de l’enseignant.
Troisième chose : identification de l’environnement sonore et de l’environnement visuel. En effet, on a affaire à des élèves sourds qui ont des compétences auditives qui sont de plus en plus performantes. Il est hors de question de nier ces compétences-là. Par conséquent, il doit être à même d’analyser extrêmement efficacement la capacité du jeune à recevoir ou non l’enseignement oral sans aide, et à quel moment l’environnement acoustique n’est plus confortable et il faudra qu’il intervienne en proposant l’outil visuel, c’est-à-dire le code LPC, le code LPC n’étant absolument pas exclusif.
Capacités d’adaptation : dès que c’est nécessaire, le codeur doit reformuler, il va opérer des adaptations linguistiques en fonction des analyses qu’il a faites précédemment, à savoir le niveau de langue et le niveau de décodage.
Capacités d’adaptation aussi parce qu’il peut avoir un élève, c’est confortable, mais aussi deux ou trois. Il doit alors pouvoir prendre en compte le profil de chaque élève. Parfois, ce n’est pas satisfaisant, mais ce sont aussi des critères qui font partie de ce qu’il doit apporter aux jeunes.
La prise en compte de la pédagogie. Tout à l’heure, je parlais de l’identification. La prise en compte, ça veut dire qu’il faudra qu’il se conforme et qu’il accepte de se couler dans le moule proposé par la pédagogie de l’enseignant. Donc à lui de trouver les stratégies qui permettront à l’élève de recevoir les enseignements. Quand on dit que le codeur est un pédagogue de la langue, en fait, il permet de recevoir intégralement les enseignements, donc percevoir tout ce qui est envoyé par le locuteur, en l’adaptant si nécessaire.
Troisième capacité : capacité de travailler en équipe. Donc faire le lien avec les membres de l’équipe pluridisciplinaire, et on ne s’arrête pas simplement aux enseignants spécialisés, orthophonistes et psychologues, il est aussi question de travailler avec l’audioprothésiste. On a de plus en plus de jeunes élèves qui sont implantés, qui ont des réglages, des corrections auditives, qui sont parfois excellentes en milieu fermé en situation artificielle, mais qui, en situation de classe, s’avèrent être des adaptations qui ne sont pas de qualité, voire perturbantes. Il faut donc alerter et faire remonter. Vous avez toujours un jeune en situation scolaire qui n’aura pas la même réaction que dans le cabinet de l’audioprothésiste ou en séance individuelle avec l’orthophoniste. Donc tout ce qui est objectivé de façon claire en situation individuelle, les paramètres collectifs changent forcément la donne. Le codeur est bien la seule personne autorisée à entrer en classe et qui peut avoir cette vision de ce jeune dans tous les apprentissages qu’il fait.
Je passe rapidement sur les qualités techniques : il faut qu’il ait une bonne maîtrise du code LPC. Il faut une dizaine d’heures pour connaître les mécanismes du code LPC. Bien évidemment, quand on est parent, c’est tous les jours qu’on va coder, et quand on est professionnel, c’est encore une autre dimension du code LPC qui nécessaire d’être vraiment professionnalisé avec des enseignements. Le respect de la pédagogie de l’enseignant, le respect du projet linguistique du jeune et un accompagnement adapté. Donc toujours faire référence au projet personnalisé du jeune. Bonne distance, et le respect de la confidentialité.
La formation : en une année, on offre ce que j’appelle un potentiel pour le codeur, et les compétences vont se développer quand le codeur se retrouvera en situation professionnelle.
Il y a 234 heures d’enseignement théorique, dans quatre grands domaines. Le premier, c’est le développement de l’enfant, dimensions biologiques, affectives sociales et cognitives.
Le deuxième domaine, communication et apprentissage.
Le troisième domaine, éducation et pédagogie.
Le quatrième domaine, la langue française parlée complétée. Il y a un enseignement technique de 160 heures, un projet tutoré avec soutenance de mémoire qui équivaut à 180 heures, et un enseignement pratique sous forme de stage, pour 532 heures.
Il est clair qu’on ne ferait pas cette licence professionnelle si on n’avait pas la collaboration et le concours des professionnels de terrain. Les lieux d’intervention : adultes, étudiants et élèves sourds. En ce qui concerne les élèves sourds, on peut intervenir aussi bien en intégration individuelle dans des établissements scolaires ordinaires qu’en intégration collective, voire en classe spécialisée. Auprès des jeunes enfants sourds, des codeurs peuvent être missionnés par des services des SAFEP pour accompagner des jeunes enfants sourds à domicile.
Le nombre de diplômés est d’environ 40 par an. On ne veut pas non plus augmenter trop le nombre dans la mesure où on ne va pas former des gens qui ne pourront pas ensuite être en situation professionnelle.
Je voudrais parler du paradoxe de la loi, qui était censée mettre le point sur la qualification des professionnels, et quand on parle de qualification, on ne peut pas imaginer qu’on puisse être fier du fait qu’il y ait de plus en plus d’AVS. On sait que c’est un vrai métier d’intervenir et que la loi avait vraiment mis l’accent sur la qualification nécessaire et indispensable des professionnels intervenant auprès des jeunes sourds dans l’accompagnement scolaire.
Deuxième chose : on peut imaginer se former sur le terrain. J’ai un certain nombre de personnes qui sont codeurs anciennement certifiés, et ces personnes demandent une VAE pour être véritablement reconnues et obtenir la licence. Ce sont des gens qui ont souvent des validations partielles et qui sont extrêmement satisfaites des propositions qui leur sont faites de venir en formation formaliser, réfléchir à des enseignements qui leur apporte certainement une autre dimension et un autre regard sur leur profession de codeur qui est en évolution constante.
Vincent Edin : Anne Vanbrugghe, reprenons le fil de notre pensée de notre troisième table ronde avec les professionnels dans la scolarisation. Je rappelle que vous êtes la coordinatrice du pôle surdité de l’INSHEA, c’est-à-dire que vous coordonnez ce qu’il se passe dans les établissements spécialisés. Quel regard portez-vous sur ce qui a été dit jusqu’à maintenant ?
Anne Vanbrugghe : L’INSHEA, c’est l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour les élèves handicapés et les enseignements adaptés.
Donc on va ratisser large, on va évoquer tout ce qui a été dit à ma droite et à ma gauche, et centrer davantage sur les questions d’enseignement et d’apprentissage. On tient pas mal à cette question car l’enseignement évoque quelque chose qui vient du haut, mais dès lors qu’il s’agit d’enseigner à des élèves, on préfère regarder ce qui vient du bas, c’est-à-dire comment l’apprentissage se structure-t-il au niveau de l’élève.
Le métier d’enseignement spécialisé est cadré par un référentiel qu’on peut trouver facilement, il y a un texte de 2004 et un référentiel initial de 1994. Je vais vous faire grâce de la paraphrase de l’ensemble des éléments du texte, vu le temps imparti, que je vais essayer de réduire.
Je vais essayer de mettre en perspective ce texte avec le thème du choix de langue.
Il dit que l’enseignant spécialisé favorise autant que possible un parcours scolaire en milieu ordinaire. Déjà là, parfois ça va se heurter à la question du choix de langue.
Quand les dispositifs prévoient une possibilité de médiation linguistique comme on a pu le voir, avec la présence d’une personne qui va faire la médiation linguistique en milieu ordinaire, les choses se passent bien, mais parfois l’inclusion même est un facteur de non-respect du choix de la langue et de non-accessibilité. On a parfois tendance à surinterpréter cette notion d’inclusion à tout prix, du coup, nous avons des élèves qui sont parfois dans des situations de handicap et de non-possibilité d’utiliser quelque langue que ce soit, faute de mise en œuvre du dispositif adéquat.
Il y a tout de même des choses qui fonctionnent bien, il ne s’agit pas de dire que tout va mal, mais c’est un premier point d’achoppement. Le métier d’enseignant, en se référant au même texte, évoque les conditions d’accès optimales à la maîtrise de la langue française orale et écrite.
Évidemment, pour accéder à une langue écrite, il faut une langue, orale, elle peut être signée, ou vocale, mais il ne faut pas un « langounette ».
On reviendra sur ce point, c’est un point important, et on va boucler très souvent sur cette idée que le choix, ce n’est pas comme si on choisissait entre cette bouteille d’eau sphérique et l’autre qui contient aussi de l’eau. Pour certains, c’est un choix qui est vital et qui nécessite que ce ne soit pas un adulte qui fasse le choix pour l’enfant sans avoir observé quels étaient ses besoins.
On en arrive au point suivant, qui est un point énorme de la formation des enseignants : c’est l’analyse des besoins. C’est ce qui est au cœur de la question du choix linguistique, c’est-à-dire d’essayer d’observer, de façon très clinique, vers quoi l’enfant va se tourner le plus facilement. Évidemment, il ne s’agit pas de ne rien faire, mais d’observer ses possibilités, d’aménager également mais d’avoir une analyse fine de ce qui est possible. On a une marge de progression à ce sujet : il y a encore beaucoup de décalage entre un besoin observé de l’enfant et des choix qui ont été faits pour lui. Que ce soit en termes de dispositif qui est proposé, qui ne colle parfois pas du tout avec ce dont l’enfant a besoin, ou il y a un hiatus entre ce que les parents ont choisi et ce qui est observé dans les classes ou les lieux de vie des élèves, où l’enfant manifeste un choix très précoce de ce qu’il peut et veut faire.
Concernant les enseignants, tout ce qui va relever des pratiques pédagogiques différenciées adaptées, c’est une énorme partie de la formation, tout ce qui va essayer de cerner quelles sont les différenciations possibles. On insiste beaucoup sur l’idée qu’il ne s’agit pas une histoire technique ou linguistique uniquement, mais bien de choix pédagogiques parfois non spécifiques, mais cruciaux. C’est-à-dire que ce n’est pas seulement de la technicité, mettre un codeur, mettre un interprète en langue des signes, on met uniquement des aspects techniques, pour certains, c’est des pictogrammes, c’est bien aussi toute une démarche pédagogique qu’il faut mettre en œuvre, et c’est ce à quoi on essaie de former nos enseignants.
Le dernier point concerne la complémentarité des acteurs. Ils sont nombreux. Il y a énormément de choses à faire dans ce domaine car on constate des points de divergences. On marche parfois sur le même champ d’intervention entre enseignants, orthophonistes, codeurs, AVS, avec une difficulté de positionnement professionnel parfois, et pour les questions de choix linguistique, c’est parfois la cacophonie dans ce domaine.
Ce qu’il faut retenir : pour ce qui concerne l’enseignant, à la limite, peu importe la langue de l’enfant, mais il faut qu’il en ait une, assez précoce, riche et confortable. Si elle n’est pas confortable, elle ne sera ni riche ni précoce.
S’il n’y a pas de langue, il y aura une difficulté de conceptualiser, d’apprendre, de découvrir le monde, d’être en relation avec les autres. Paradoxalement, ce n’est pas forcément la langue de la majorité qui permet le mieux d’être inséré, parfois ça l’est, parfois ça ne l’est pas. On retient aussi l’idée que ce qu’un enfant peut faire, tous ne le feront pas. Or parfois, on a des positions un peu dogmatiques, où, à partir de quelque chose qui s’est construit dans une grande motivation professionnelle ou d’un groupe qui essaie de trouver des solutions, il y a une espèce de promotion d’une option ou d’une autre qui veut s’appliquer à tous. Or, ce n’est pas le cas, ce qui vaut pour un ne vaut pas forcément pour tous. Donc essayons d’écouter les enfants, mais ça se heurte à la question des moyens, évidemment, puisque, plus on va différencier, plus on aura de solutions individuelles, plus il faudra réfléchir aux moyens financiers, matériels et humains, de respecter cette nécessité-là, je ne parle pas de choix mais de nécessité.
Vincent Edin : Merci. Pour terminer cette table ronde, le seul garçon Simon Houriez. Merci beaucoup d’être resté avec nous, je sais que vous avez décalé un rendez-vous. Vous êtes directeur de Signe de Sens.
Maintenant que tout le monde est bien réveillé, on va pouvoir faire un peu de déconstruction et revenir à la base de l’éducation, avant de voir s’il s’agit de langue des signes ou de LPC, comment on transmet, et parler de votre démarche, qui s’appuie sur les nouvelles technologies, mais qui n’en part pas, car il ne s’agit pas de dire qu’on prend le progrès technique pour s’opposer à un certain nombre d’autres langues. Votre point de départ a été de revenir à l’éducation, c’est ça ?
Simon Houriez : Oui. Dans l’association Signe de sens, on travaille sur l’accès à l’éducation et au savoir par l’invention de nouveaux outils, de nouvelles pratiques, par la réorganisation. On a des activités qui impliquent soit de la création d’outils multimédias, des activités qui impliquent directement des actions d’intervenants humains, donc il n’y a pas du tout de technologie. La dernière activité qu’on développe, c’est d’aider les gens à reconstruire leur stratégie, leur organisation, etc., c’est une activité plutôt de conseil et d’accompagnement.
Cela fait environ dix ans que je travaille sur le sujet. J’ai créé l’association en 2003, sur ce constat assez facile à faire il y a dix ans de manque d’outils, d’opportunités, de vision aussi de l’encadrement politique et institutionnel. C’était une façon de nourrir l’outil, essayer d’être une proposition modeste, mais assurée à, tout cela.
La conclusion qui a été faite par différentes personnes aujourd’hui, c’est cette idée d’innovation ou d’apport qui va se retransmettre à toute la société. On travaille beaucoup sur l’idée que les situations, les problématiques que les personnes sourdes mettent en lumière sont en général des dysfonctionnements ou des problématiques que les autres personnes vivent également, peut-être à des degrés moindres ou à des moments différents, mais en tout cas, elles sont les mêmes. Donc on essaie de repenser les choses en incluant cette vision-là.
On a réussi à avoir un soutien par le ministère de la Culture. Il y a deux ans, le ministère de l’Éducation nationale avait fait une conférence sur les nouvelles technologies dans l’éducation, nous y étions intervenus pour présenter nos supports qui sont des livres avec des DVD à vocation d’éveil, etc. Donc on a parcouru différents espaces. Ce qui est toujours un peu frappant, pour moi, c’est que… je vais vous raconter l’expérimentation que l’Éducation nationale voulait diffuser, je ne sais pas où ça en est aujourd’hui. Vous aviez un professeur de mathématiques au collège. Dans sa classe, il avait quatre jeunes sourds. Le professeur tape le texte de son cours chez lui, sur ordinateur, il l’imprime, il emmène son papier à l’école. Arrivé à l’école, il met un casque avec un micro relié à un ordinateur, un logiciel et un vidéoprojecteur sur le tableau. Donc le professeur relit son cours dans le micro, qui passe par un logiciel d’encodage, ça reconnaît donc ce qui est dit et ça l’écrit, et ça le projette. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il ne distribuait pas de photocopies vu que c’était déjà fait…
Le logiciel était très bon, c’est-à-dire que c’était hyper impressionnant, mais cela réduit le rôle de l’enseignant à lire un document qu’il aurait écrit à l’avance. C’est au final un manque de vision sur ce qu’est l’éducation et sur ce que le collège apporte aux élèves. J’avais entendu une étude qui établissait que du collège, sur les quatre années de collège, vous retenez 5 à 7 % du savoir qui vous est transmis.
Si l’enjeu, c’était uniquement ces 5 à 7% que vous retenez au fil de votre vie, au final, ce serait vite réglé et le collège n’aurait plus de problèmes depuis longtemps.
La question, c’est tous les enjeux sociaux, les enjeux de relations à l’autre, de relations à soi, votre positionnement, mais aussi de l’apprentissage, mais pas seulement de l’apprentissage de savoirs, mais aussi de savoir-faire ou de démarches intellectuelles. Finalement, le savoir que vous manipulez est bien souvent un outil pour développer ces compétences-là, que vous allez réexploiter, peu importe vos choix de vie, de parcours, aptitudes, etc.
Donc si on réduit question de l’intégration des enfants sourds à l’école par une réponse à : comment traduire ce que dit le professeur en termes de contenus de cours, on rate 97 % de l’enjeu du collège. Il faut vraiment en avoir conscience.
J’ai été très content que Cédric me propose de participer. Effectivement, je ne travaille pas directement dans l’école, mais plus sur ces questions des nouvelles technologies et plus largement de la question de l’appropriation de l’éducation. Souvent, on se sert des nouvelles technologies comme outil de réponse à tout.
Je vous donne un deuxième exemple : on a fait une expérimentation au musée du Quai Branly, puisqu’on travaille énormément dans les musées, car eux aussi ont des problèmes de pédagogie, d’apprentissage, de médiation avec des publics très différenciés, et ont l’obligation d’accueillir les personnes avec des handicaps, des spécificités, etc.
C’est aussi un lieu où on a un peu plus de flexibilité que dans l’Éducation nationale, on a donc essayé d’y travailler, expérimenter et sortir des résultats, qui pourront, on l’espère, nourrir des réflexions d’autres personnes. Nous-mêmes, nous nous nourrissons énormément du travail des autres personnes. Donc on a développé une application sur iPad, qui est une sorte de parcours interactif, ludique, avec le comédien sourd qui est au centre, en langue des signes, sous-titrée et accompagné d’une voix off d’une ambiance musicale, de bruitages, etc. C’est donc complètement accessible.
On a fait cette expérimentation sur environ 50 enfants qui ont parcouru le musée avec l’iPad, par groupes de trois : donc trois enfants avec un iPad, sans accompagnant du tout. L’idée était, par un parcours de découvertes, de quêtes, de les emmener vers la curiosité de ce lieu, du contenu, des objets, la compréhension, l’intuition, le développement de la réflexion, la collaboration avec les autres, etc. Le résultat de l’étude est vraiment intéressant car on voit que les enfants ont beaucoup plus collaboré que dans une visite classique. En même temps, ils ont retenu et porté plus d’attention aux contenus que dans une visite classique, ils étaient plus actifs, plus engagés, etc. C’est un ensemble d’informations dont je pourrai vous donner le lien pour un retour exact.
Ce qui est intéressant, c’est qu’un des instits d’une classe, à la fin de la visite, est venu nous voir pour nous dire : génial, je vais acheter des iPad ! Encore une fois, ce n’est pas l’iPad, mais l’application qu’on avait mise dedans.
L’Éducation nationale a mené des expérimentations d’usage de tablettes à l’école. Ce qui est marrant, c’est que la conclusion de toute l’étude est : « les tablettes, il y a quelques problématiques techniques, donc on ne sait pas encore, par contre, attention aux applications que vous utilisez et leur valeur pédagogique. » Ben oui, c’est comme les livres ! Un livre, ce n’est pas un outil en soi, ça dépend de ce qui est écrit dedans. C’est exactement la même chose. Donc La technologie ne résoudra pas le problème de l’intégration en elle-même, elle y participera, elle offrira des opportunités, mais elle ne remplacera pas la vision que l’homme doit avoir de l’éducation.
Le savoir reste une grande aventure, plutôt passionnante, intéressante, sans fin, enthousiasmante et partagée, et il ne faut pas perdre ça de vue, peu importe la solution qu’on met en œuvre. Si elle tue le plaisir, l’élan et la dynamique, la technologie ne sert à rien.
Je suis allé aux Etats-Unis, dans des classes qui ont des choix différenciés pour les enfants. Ce qui m’a touché le plus, ce n’est pas de savoir s’il y avait de la langue des signes, du LPC, si le prof était un sourd… Ce qu’il y avait de touchant, c’est que dans le couloir, je me suis senti dans une école, c’est tout. C’était pour moi le fondamental, les gamins se marraient, ils avaient l’air content, surtout ils parlaient entre eux, ils avaient une vie, en fait. Je pense qu’il ne faut pas perdre ça de vue par des considérations qui sont pointues sur des petites étapes du processus de l’école.
Merci.
Vincent Edin : Merci beaucoup Simon, c’était une très jolie conclusion à notre table. Cinq siècles après, vous avez donné un nouvel éclairage à Rabelais puisqu’on voit qu’apprentissage sans appropriation du savoir n’est que ruine de l’enseignement, c’est ça ?
Merci encore aux sept qui sont venus.
Je rappelle que pour faciliter la vie de ces professionnels, codeurs, interprètes, il est de bon ton de leur adresser au préalable des supports écrits pour qu’ils puissent être un peu plus en confiance et exercer dans des conditions optimales.
Merci pour les interprètes par avance.