Intervention de Patrick Gohet
Président du CNCPH
Conférence de l’Unisda du 11 février 2012
Intervention
Vincent Edin : Merci.
Nous devons bousculer l’agenda car nous accueillons maintenant Patrick Gohet. Vous êtes bien connu ici, vous être un irréfragable optimiste. Mais la tonalité depuis ce matin n’est pas sincèrement rose. On voudrait savoir ce que le président du CNCPH dont on sait la capacité de liaison avec toutes les instances publiques de tutelle a à dire sur un sujet comme celui-ci.
Patrick Gohet : Je salue chacune et chacun d’entre vous, et je vous remercie pour l’invitation qui m’a été adressée.
Le CNCPH est une instance représentative de l’ensemble de la société française, il y a des représentants des associations, des organismes gestionnaires, mais aussi de tous les acteurs de la politique du handicap de notre pays, les collectivités locales, les caisses de protection sociale, je salue d’ailleurs le directeur de la CNSA ici présent, mais aussi des représentants de chercheurs, des représentants de grandes institutions comme la Mutualité française ou la Croix rouge. Je salue également la présence des ministères et de l’administration centrale, et je distingue également la DGCS et certainement aussi l’Éducation nationale étant donné le thème abordé aujourd’hui. Quelques mots sur les préoccupations du CNCPH en ce qui concerne la question particulière du handicap auditif.
Quatre points sur lesquels je voudrais insister, puis je répondrai à cette question relative à l’ambiance et les perspectives générales. En ce qui concerne les personnes sourdes et malentendantes, le CNCPH met l’accent sur trois points en règle général et un point particulier compte tenu des circonstances actuelles.
Le premier point, c’est la question de la précocité du diagnostic. Il faut qu’il intervienne le plus précocement possible, et les conditions doivent être réunies pour que ce soit le cas. C’est un point déterminant pour l’avenir du jeune sourd ou du jeune malentendant. Le deuxième point, c’est la question de la scolarisation.
Incontestablement, notamment du fait de la loi du 11 février 2005, des progrès substantiels ont été réalisés. Parmi l’ensemble des ministères impliqués dans la politique du handicap, celui de l’Éducation nationale est à saluer sur ce point. Mais immédiatement, j’ajoute un élément complémentaire. Je sais qu’à l’UNISDA, on y est particulièrement attaché, et le CNCPH l’a rejoint dans cette préoccupation, c’est la question de la liberté du choix du mode de communication. Certes, il y a la langue des signes, certes sur ce plan-là, le ministère de l’Éducation nationale a fait des progrès, mais il y a d’autres modes de communication, et ils doivent être également, du point de vue du CNCPH, obtenir droit de cité.
Donc le diagnostic précoce, la scolarisation, avec les conditions à remplir pour qu’elle soit réussie, et c’est lié, le choix du mode de communication. L’UNISDA s’est signalée par une préoccupation forte qui a entraîné le CNCPH, c’est la question de l’accès au processus électoral, la question de l’accent à l’exercice démocratique de ses prérogatives de citoyen, y compris lorsqu’on est sourd ou malentendant. Le CNCPH est à l’origine d’un certain nombre de propositions destinées à améliorer, à l’occasion des élections qui approchent, l’accès des personnes handicapées au processus électoral.
Je vais prendre un exemple particulier : il est quand même encore anormal que le citoyen aveugle ait besoin d’un tiers pour pouvoir voter. Il est des pays où cette situation est résolue depuis longtemps. Chez nous, ce n’est pas encore totalement le cas. On peut multiplier les exemples. L’effort, cette année, n’est pas uniquement sur l’opération électorale elle-même, mais sur tout ce qui précède, c’est-à-dire l’accès à la campagne électorale elle-même, l’accès aux meetings, la possibilité de suivre les émissions de télévision qui sont au cœur de la campagne électorale. C’est extrêmement important. Le premier des droits du citoyen est de pouvoir se prononcer, mais c’est aussi d’avoir accès à tous les éléments qui lui permettent de faire son choix pour pouvoir se prononcer.
Là dessus, des propositions ont été faites par un groupe de travail du CNCPH qu’a animé le président de l’UNISDA, Cédric Lorant, que je remercie car il a opéré un vaste tour d’horizon, et les propositions qui sont sorties de ce groupe ont été transmises par les soins du secrétaire général du Comité interministériel du handicap au ministère de l’Intérieur, qui est l’acteur principal de la préparation de toutes ces opérations.
L’animateur demandait s’il y avait lieu d’être optimiste ou pessimiste. Il est clair que le contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, sept ans après la promulgation de la loi, est un contexte très différent de celui qui présidait à l’époque où la loi a été promulguée. Par conséquent, sa mise en œuvre est conditionnée par d’autres facteurs. Ce contexte auquel je fais référence est un contexte difficile sur le plan budgétaire.
Dans la loi de 2005, il y a quatre éléments fondamentaux.
Le premier élément, c’est la définition du handicap. La loi ne définit pas ce qu’est une personne handicapée, une personne handicapée, c’est une personne. Par conséquent, c’est, dans notre démocratie, un citoyen. Il se trouve que ce citoyen a une difficulté particulière, celle d’être porteur d’une déficience, en l’occurrence, par exemple, celle qui consiste à avoir des difficultés pour entendre ou à ne pas entendre. Et cette personne, compte tenu de l’environnement qui n’est pas toujours adapté connaît un handicap qui est le fruit de cette rencontre entre la déficience et un environnement inadapté. C’est aussi un élément très important de la loi de 2005.
Comme la loi est logique, elle entend apporter une réponse à chacun de ces deux facteurs étant à l’origine du handicap. Au facteur individuel, la déficience, elle répond par la compensation, une compensation individualisée (aide humaine, technique, animalière, etc.). Aux causes collectives de production du handicap, elle répond par l’accessibilité. Une accessibilité revisitée, ce n’est pas seulement l’accès pour les personnes qui rencontrent des difficultés de mobilité. Ça l’est, mais pas uniquement. L’accessibilité s’applique à toutes les formes de handicap. Et puis cette accessibilité ne concerne pas uniquement le transport ou le cadre bâti, mais toutes les activités de la cité. Dans cette approche nouvelle, il faut donner toute sa place au handicap auditif, pour les personnes non ou malentendantes.
Il y a de très nombreuses attentes ici, qui sont portées par le CNCPH, et qui n’ont pas toutes reçu la réponse attendue. Si ici on est inquiet, ou impatient, il y a de bonnes raisons à cela. Ça ne veut pas dire que des progrès n’ont pas été réalisés, d’ailleurs votre association, efficace, en a obtenu un certain nombre. Mais avec le partenariat des ministères que j’ai évoqués tout à l’heure, avec les instances, d’incontestables progrès sont réalisés, mais il y a encore des attentes insatisfaites.
Le CNCPH va dans quinze jours rendre un avis sur le rapport élaboré par le gouvernement suite à la conférence nationale du handicap de juin dernier. Toutes les commissions, tous les groupes de travail sont mobilisés pour examiner les parties qui les concernent et donner leur sentiment.
La commission permanente du CNCPH se réunit ce lundi et va élaborer une proposition d’avis. Cet avis sera adopté lors de la session du 22 février prochain.
Je ne peux pas vous donner les termes de cet avis, puisqu’il est en cours d’élaboration. Je peux vous dire que toutes les questions relatives à la compensation et à l’accessibilité sont examinées, sous l’angle de tous les handicaps, et en particulier du handicap auditif.
Le deuxième point : la mandature du CNCPH est de trois ans, et la mandature en cours s’achève en octobre prochain. Comme maintenant c’est devenu l’usage au sein du CNCPH, nous allons élaborer un rapport de fin de mandature, une espèce de legs de la mandature en cours pour celle qui suivra. Vous trouverez déjà une première composante de ce rapport dans le rapport que le CNCPH a fait pour la conférence nationale du handicap. Il va approfondir ses réflexions. Son objectif n’est pas une attitude négative. C’est d’abord de reconnaître ce qui est fait, parce que des choses sont faites, puis de pointer ce qui peut être amélioré, enfin, lister ce qui reste à faire, et de le faire dans un esprit positif.
Une originalité de ce rapport de fin de mandature sera d’insister sur les spécificités des différents handicaps, notamment celles liées au handicap auditif. Pendant de nombreuses années, le CNCPH a privilégié la notion de handicap global. Puis on s’est aperçu que cette notion se développait au détriment de spécificités qui appellent des réponses particulières.
Donc j’ai engagé le CNCPH à décliner la notion générale de handicap sous toutes les formes que celui-ci peut revêtir. Pour conclure, je dirai ceci : lorsqu’on a, en 2003-2004, commencé à réfléchir à la révision législative, on s’est demandé si on faisait un texte qui rafistolait la législation existante ou si on faisait une législation résolument moderne et en rupture, en quelque sorte, avec un héritage qui n’était pas complet. C’est la seconde voie qui a été retenue. Évidemment, on l’a fait en toute connaissance de cause, c’est-à-dire qu’on s’est dit qu’un tel texte ferait naître des espoirs qui ne seraient pas toujours faciles à satisfaire. Mais nous avons préféré faire un texte de portée sociétale plutôt qu’un texte de circonstances.
Je pense que nous avons eu raison. Que ce texte est profondément réformateur, que les principes sur lesquels il repose ne doivent pas être remis en question. De plus, c’est un texte sur lequel on peut s’appuyer pour faire face aux conséquences de la mutation qui affecte les sociétés occidentales, et en particulier la nôtre. C’est un support. C’est un point sur lequel on peut s’appuyer pour réaliser tous les espoirs que cette loi a fait naître.
Donc on n’est pas au bout du chemin. Il faut évidemment tenir compte du contexte actuel, il faut saisir l’opportunité des élections qui viennent : on va renouveler le chef de l’exécutif et la moitié du corps législatif. C’est l’occasion d’installer dans le débat public la question du handicap, pour que les solutions qui sont attendues, ce que la loi prévoit et qui n’est pas réalisé puisse être réalisé, il faut que le débat soit aussi organisé autour de tout cela.
Je ne doute pas que le monde associatif le fera, en particulier, cher Cédric, l’UNISDA, mais c’est aussi le rôle, dans le cadre qui est le sien, ni au-delà ni en deçà, du CNCPH que de livrer, à partir de ses réflexions et propositions, aux dirigeants de demain de la matière pour faire progresser les choses.
Pour conclure totalement, il faut qu’à l’occasion de ce débat, on fasse comprendre à la société française qu’elle ne regarde pas encore le handicap totalement comme elle le devrait. Pour la société française, le handicap reste une réalité à part, qui concerne une population à part, à laquelle on destine des réponses à part. D’autres sociétés voient différemment cette question, elles la voient comme une question ordinaire de la vie à l’image de tant d’autres, d’une part.
D’autre part, et notre société peut en prendre conscience dès aujourd’hui, quand on fait quelque chose pour le compte des personnes handicapées, c’est en général du mieux-être et du mieux-vivre pour l’ensemble de la société. Les exemples sont innombrables. Quand on fait en particulier quelque chose pour les personnes sourdes ou malentendantes, il en est beaucoup qui en profitent : dans le domaine de la signalétique, de la communication, dans les précautions qu’il faut prendre pour être entendu de tous, en particulier ceux qui ont des difficultés à accéder à ce qui se dit.
C’est vraiment le message qu’il faut faire passer.
Incontestablement, il y a un besoin de solidarité envers les personnes handicapées, c’est un effort légitime qu’il convient d’accomplir, mais la société doit comprendre que quand elle le fait, ce n’est pas seulement un effort de solidarité qu’elle accomplit, c’est une sorte d’investissement social qu’elle réalise, et que l’ensemble de la société en profite. Voilà les raisons pour lesquelles, Vincent, si je suis réaliste, si le CNCPH est réaliste, nous gardons une somme de convictions fortes, et sans vision, et la loi est porteuse d’une vision, sans objectifs et sans échéances, on ne peut pas réaliser une telle action politique.
La question de la mise en accessibilité de la société va se poser dans le cadre du prochain quinquennat et de la prochaine législature, c’est en 2015, c’est au milieu du prochain quinquennat et de la prochaine législature. Alors on ne va pas employer la longue de bois : tout le monde dit plus ou moins que la totalité de ce qui doit être fait en matière d’accessibilité ne le sera évidemment pas le 12 février 2015, mais l’essentiel de ce qui se fait doit être fait d’ici là. Si vraiment il y a une démarche positive à entreprise, c’est, d’abord, d’obtenir que l’on aille le plus loin possible dans cette mise en accessibilité, ensuite, qu’on ne remette absolument pas en cause les principes sur lesquels elle repose, et enfin, qu’on mette en place une stratégie de réalisation, c’est-à-dire que ça comporte des échéances, des objectifs quantitatifs et un engagement mutuel de toutes les parties prenantes de la société. C’est à l’édification d’une telle stratégie qu’il faut que nous nous consacrions. Le CNCPH fera, en ce qui le concerne, des propositions dans ce sens-là.
Merci à l’UNISDA pour son travail et ses initiatives. Elle a, au sein du CNCPH, pleine et entière possibilité d’interventions et de propositions. Je remercie ses représentants, et je vous remercie toutes et tous pour vos propositions, vos réflexions et votre vigilance. Merci.
Vincent Edin : Merci beaucoup Monsieur le président, on aura noté effectivement que vous indiquez que la loi est en profonde rupture, versus rafistolage. Je suis quand même au regret de vous dire, parce que malheureusement, votre emploi du temps ne vous permettait pas d’être avec nous ce matin, que la tonalité des intervenants sur le terrain était que, pour l’instant, on fait plutôt du rafistolage ou du bricolage.