Actes du colloque de restitution du 20 mai 2011
Enquête sur la détresse psychologique des personnes sourdes, malentendantes, devenues sourdes et/ou acouphéniques
Comment identifier, accompagner et prévenir ?
Restitution de l’enquête nationale 2010
Pascale ROUSSEL,
Chercheur à la MSSH / EHESP,
« La détresse psychologique exprimée par les personnes sourdes, malentendantes, acouphéniques, hyperacousiques »
Une étude complémentaire de l’étude générale a pu être réalisée, avec le soutien de la CNSA. Ce travail porte sur un sous-ensemble des données recueillies par l’UNISDA puisqu’il ne concerne que les personnes qui ont répondu pour elles-mêmes. En revanche, il comporte également un traitement statistique des données recueillies dans l’enquête Handicap-Santé en Ménages (HSM) de 2008 permettant une comparaison, prudente mais essentielle, des réponses déclarées dans le cadre d’un échantillon non maîtrisé (celui qui a répondu à l’enquête de l’UNISDA) et de celles recueillies auprès d’un échantillon considéré comme représentatif de la population nationale résidant en domicile ordinaire.
1 – Caractéristiques des répondants
Source : Données TNS-SOFRES-UNISDA, traitement EHESP
Parmi les 2.100 personnes environ qui ont répondu à l’enquête de l’UNISDA, à peu près un quart ne déclarent aucune perte d’acuité auditive. Le reste se répartit entre des personnes qui ont déclaré des surdités légères ou moyennes (25%), accompagnées ou non d’hyperacousie, un plus faible effectif de personnes avec surdité sévère (15%), et un tiers de personnes avec des surdités profondes (environ 30%). Ces déclarations sont à considérer avec prudence, car elles peuvent être le résultat d’une appréciation personnelle, plus ou moins éloignée des catégorisations établies à partir des normes exprimées en décibels.
Un quart des personnes ont déclaré une hyperacousie et 68% ont déclaré des acouphènes.
Un tiers des personnes n’ont pas donné d’information sur la date d’apparition de leur surdité et une majorité déclarent qu’il s’agit de surdités acquises. Néanmoins, ce résultat peut comporter une marge d’erreur importante, soit parce que la question a été mal comprise (confusion usuelle dans ce type de questionnement entre le nombre d’années écoulées depuis l’évènement que l’on cherche à dater et l’âge au moment de l’évènement), soit parce que la mémorisation du moment de survenue de la surdité est inexacte, soit encore parce que l’apparition de la surdité a été très progressive, rendant la question partiellement inopérante.
Comparativement aux répondants de l’enquête Handicap-Santé en ménages, les répondants de l’enquête de l’UNISDA, comportent une proportion plus élevée de surdités profondes et sévères (cf. figure 2). Si les chiffres ne peuvent être strictement comparés compte tenu de la diversité des modes d’identification des difficultés auditives, cette différence est suffisamment marquée pour qu’il ne soit pas totalement hasardeux de considérer que l’échantillon de l’UNISDA comporte une plus forte proportion de personnes avec d’importantes difficultés auditives que la population étudiée grâce à l’enquête HSM.
Source : données TNS-SOFRES-UNISDA ; données HSM2008 DREES-INSEE, traitement EHESP
Les répondants à l’enquête de l’UNISDA sont aussi plus jeunes que les personnes avec déficience auditive représentées dans l’enquête HSM. Enfin, l’engagement associatif concerne une proportion élevée des répondants à l’enquête de l’UNISDA : 18% sont membres actifs d’associations relatives à la surdité et 43% sont de simples adhérents.
2- La détresse psychologique parmi les répondants à l’enquête de l’UNISDA
La « détresse psychologique », notion apparue dans les années 90, peut être considérée comme le versant négatif de la notion de « bien-être psychologique ». Elle peut attester d’une maladie mentale mais peut également être conjoncturelle. Rapidement, on peut considérer que la dépression comporte une dimension de détresse psychologique alors que cette dernière ne résulte pas toujours – ou ne conduit pas toujours – à un épisode dépressif. La détresse psychologique, qui recouvre donc partiellement la notion de dépression, est souvent appréciée par le score MH-5, indicateur largement utilisé dans les enquêtes en population générale, à partir de cinq questions fermées. La constitution d’un score à partir des modalités de réponse retenues par les enquêtés permet des comparaisons entre enquêtes. Toutefois, ces comparaisons doivent être prudentes, car même si le MH5 a fait l’objet de travaux de validation, les réponses fournies par les personnes enquêtées peuvent être influencées par les conditions de passation de l’outil, conditions très variables d’une enquête à l’autre.
Les résultats de l’enquête UNISDA, font apparaître une population très exposée au risque de détresse psychologique : près d’une personne sur deux est estimée en situation de détresse psychologique. Ce taux est très nettement supérieur à celui obtenu dans d’autres enquêtes : 16% de la population active pour l’enquête HSM et 20% dans l’enquête Santé Protection Sociale de 2008. La population qui a répondu à l’enquête UNISDA se déclare donc beaucoup plus en difficulté que la population générale.
Certaines sous-catégories de population semblent plus exposées que d’autres à la détresse psychologique. C’est le cas notamment des personnes qui déclarent des acouphènes, de celles qui déclarent une hyperacousie, mais aussi de personnes au chômage (sans que l’on sache s’il y a un lien entre leur chômage et leurs difficultés auditives). Inversement, l’implication associative semble protectrice. Il s’avère en effet que les faibles scores de MH5 sont moins représentés parmi les adhérents associatifs que parmi les non-adhérents (44% vs 56%). Ce résultat élimine l’hypothèse d’un biais de sélection à l’origine d’un surcroît massif de déclaration de détresse psychologique au sein du groupe de personnes ayant répondu au questionnaire de l’UNISDA.
Pour chacun des trois degrés de surdité (légère, sévère et profonde), les déclarations conduisant à identifier une détresse psychologique sont plus nombreuses en cas de déclarations simultanées d’acouphènes (cf. figure 3 infra). Globalement, la détresse psychologique est déclarée par 55 % des acouphéniques vs 34 % des non-acouphéniques, et par 64 % des hyperacousiques vs 43 % des non- hyperacousiques.
Source : données TNS-SOFRES-UNISDA, traitement EHESP
Le moment de survenue des problèmes d’audition semble également exercer une influence sur le taux de détresse psychologique (cf. figure 4). La population touchée par la surdité en fin d’adolescence et au début de l’âge adulte (15 à 39 ans) est celle dont le taux de déclaration de détresse psychologique, est le plus élevé. Néanmoins, bien qu’il soit peu probable que l’ensemble des personnes n’ayant pu dater le début de leur surdité relèvent de la catégorie des 15-39 ans et contribuent à gonfler artificiellement le taux de détresse psychologique de ce groupe d’âge, la petite taille de chacune des classes d’âge étudiées incite à la prudence.
Source : données TNS-SOFRES-UNISDA, traitement EHESP
L’ancienneté des difficultés d’audition (surdité ou acouphènes) a également une influence sur la déclaration de la détresse psychologique (cf. figure 5). Les personnes les plus exposées à la détresse psychologiques sont celles qui ont déclaré les phénomènes les plus récents. Les taux de détresse psychologique sont les plus importants lorsque la surdité date de moins de 3 ans. L’incertitude liée à l’impossibilité de dater les acouphènes est un peu plus marquée que celle liée à l’impossibilité de dater la surdité, en raison du nombre plus important de personnes dans cette situation.
Source : données TNS-SOFRES-UNISDA, traitement EHESP
3- Comparaison avec la population ayant répondu à l’enquête Handicap-Santé
La différence de mode de recueil des données relatives aux déficiences auditives n’a pas permis de constituer des groupes totalement comparables, et, en particulier, d’isoler les personnes présentant des acouphènes sans perte d’audition dans l’enquête Handicap-Santé. Toutefois, la comparaison des données de l’enquête UNISDA (en bleu) avec celle de Handicap Santé Ménages – HSM (en rouge), montre que, pour chacun des trois degrés de surdité que nous avons pu identifier, la présence de difficultés dans le domaine de l’audition s’accompagne d’un taux de détresse psychologique supérieur à celui des personnes ne présentant pas de problème auditif (cf. figure 6). Le plus faible taux de détresse psychologique observé dans les données de l’enquête Handicap santé, chez les personnes dont les pertes d’audition sont les moins marquées peut s’expliquer par la proportion élevée de personnes âgées tolérant mieux les difficultés auditives. Il peut aussi provenir d’une estimation différente des difficultés auditives dans les deux enquêtes, chacune ayant recours à une auto-déclaration, mais selon des modalités différentes. Bien que la comparaison soit imparfaite, le sens – à défaut de l’ampleur exacte – de la relation entre difficultés d’audition et détresse psychologique, identifié dans l’enquête UNISDA (surcroît de détresse psychologique) semble donc corroboré par l’analyse des résultats de l’enquête HSM.
Enfin, différents modèles de régression logistique ont été mis au point pour identifier les facteurs de « risque » de détresse psychologique pour la population présentant des difficultés dans le domaine de l’audition (cf. figure 7). L’usage de différents modèles permet de mesurer le surcroit de risque associé à différentes situations ; toutes les personnes n’associant pas acouphènes et pertes d’audition ou n’ayant pas été en mesure de dater l’un ou l’autre phénomène. Quels que soient les modèles applicables, l’existence d’acouphènes, apparait positivement corrélée à la probabilité de présenter une situation de détresse psychologique. L’hyperacousie augmente aussi considérablement le risque (il est deux fois et demi à cinq fois plus élevé en cas d’hyperacousie). Le chômage ou l’inactivité professionnelle (autre que celle des femmes au foyer) accroît également le risque de situations psychologiques très difficiles En revanche, les personnes les plus âgées semblent être mieux à même de supporter leurs difficultés auditives et déclarent moins de détresse psychologique.
En conclusion, malgré les difficultés de ce type d’enquête qui ne porte pas sur un échantillon aléatoire représentatif de la population nationale, l’enquête menée par l’UNISDA semble confirmer le surcroît de détresse psychologique, chez les personnes avec troubles de l’audition, suspecté par les associations et les professionnels. Si elle ne permet pas d’estimer l’ampleur de ce surcroît avec certitude, cette enquête permet l’identification d’une période de fragilité, le début de l’âge adulte, et de facteurs aggravant les risques (hyperacousie, acouphènes, faible ancienneté des difficultés d’audition, situation de chômage).